Louis Masai : « De la difficulté d’un street art militant ».

Drôle d’endroit pour une rencontre ! Nous sommes en 2013, le collectif Quai 36 a sollicité des street artists pour mettre un peu d’art dans les halls, sur les quais et les couloirs immenses de la très fonctionnelle gare du Nord de Paris.

J’y retrouve des « amis » que je connais et dont j’apprécie le talent : Jérôme Mesnager, Dourone, Levalet, Artiste-Ouvrier, Grégos, Jana et JS. Et d’autres que je ne connais pas mais qui ont, néanmoins, des talents confirmés.

Quai 36, « One love ».

 Parmi ces « inconnus » un artiste dont les œuvres m’ont frappé par leur qualité. C’étaient de beaux portraits d’animaux peints d’une manière hyperréaliste. Des inscriptions complétaient les œuvres ; une signature illisible, « One Love », « Je suis endangered, help me! », « One love ». Elles éclairaient quelque peu la signification. Sans vraiment tout saisir, je comprenais qu’il s’agissait d’animaux en danger qui voulaient être aidés.

Quai 36, « One love ».
Quai 36, « One love ».

Juin 2018, dans le cadre d’Ourcq Living colors, je découvre une collaboration qui attire mon attention, en particulier, la représentation d’un éléphant.

 Juin 2019, même festival de street art, le même artiste peint une scène remarquable. Elle représente un lézard suspendu par les pattes arrière à une tige de fleur, se détachant sur un décor constitué de zones traitées en aplat, géométrisées et d’abeilles encadrant le sujet principal.

L’éléphant, Ourcq Living colors, 2018.

Caramba, me dis-je, est-ce le même artiste qui a peint les « portraits » des animaux en voie de disparition de la gare du Nord et l’éléphant et le lézard en patchwork ? Je googlelise les noms des participants aux trois manifestations et, par recoupement, découvre-enfin-le nom de l’artiste, Louis Masai.

Le lézard, Ourcq Living colors, 2019.

Si l’éléphant et le lézard ont des signes de parenté, les animaux du Quai 36 diffèrent radicalement de leurs collègues. Ceux de la gare du Nord quoique différents sont de la même eau : la représentation est centrée sur la gueule ouverte de ces animaux qui hurlent leur désespoir et nous appellent, nous les humains responsables de leur disparition, au secours. Des animaux « en majesté », magnifiques. D’où la force du message de Masai qui oppose la beauté des animaux à la mort annoncée, la rendant inacceptable. Pour en remettre une couche, les animaux sont anthropomorphisés pour nous les rendre plus proches et leur posture est, au sens littéral, une interpellation du spectateur. « One love », prend sens : Hommes et animaux sont réunis dans un même amour.

L’éléphant et le lézard complètent la liste, longue, beaucoup trop longue, des espèces menacées. Mais, le traitement graphique est très différent de celui du Quai 36. Dans les deux cas, les surfaces du corps sont découpées assez régulièrement en surfaces plus petites et ces surfaces sont décorées de motifs. Somme toute, une version patchwork des couvertures tricotées par ma grand’mère.

C’est précisément ce point qui explique mon relatif désintérêt pour l’éléphant. J’ai pensé que c’était une œuvre « décorative », et ce mot dans ma bouche n’est guère flatteur. Fier héritier de Mai 68, je donne du crédit aux œuvres « à message », méprisant celles dont l’unique objet est de « faire beau ». Personne n’est parfait ! A peine étais-je titillé par un approfondissement d’une réflexion déjà entamée d’une histoire des motifs décoratifs !

A y regarder de plus près, je notais la différence entre le traitement plastique du corps du lézard et la représentation des abeilles. Ici, nulle volonté décorative ; elles sont peintes de la même manière que les animaux du Quai 36. Elles sont « naturellement » belles.

Les abeilles faisaient, de fait, le pont entre Quai 36 et l’éléphant et le lézard. Même message : « One love ». Après tout, alors que je voyais une rupture, y avait-il, en sous-texte, un même message ?

Dans une interview, Louis Masai explique le choix de ses sujets : « Je suppose qu’il est plus difficile de peindre sans idées que de créer directement à partir de ce qui vous intéresse. Pour moi, ce sont les éléments du milieu naturel. J’ai toujours admiré la faune et la douceur de la nature, aujourd’hui j’ai vieilli et amener les autres personnes à réfléchir sur l’environnement est devenu important pour moi. Ce serait étrange pour moi si cela ne se reflétait pas dans mon art. Je sens que les images visuelles peuvent être utilisées pour passer un message ainsi mon art est là pour parler des espèces en voie de disparition. » L’artiste a apporté son concours à une agence environnementale, Synchronicity Earth, et soutenu de nombreuses campagnes pour sensibiliser à la réduction de la biodiversité. Il se présente d’ailleurs comme un « activiste ».

Quant à la différence de traitement, dans un bref passage d’un entretien récent, il nous fournit des clés de compréhension ; « Je puise mon inspiration dans plusieurs endroits. Pour le concept, je cherche énormément dans la nature, elle a toujours eu une influence énorme sur moi, surtout en ce qui concerne ma vision de la vie – dès mon plus jeune âge je peignais des tigres et des zèbres. Mes tableaux sont composés de plein de patchworks, ce qui me donne l’opportunité de peindre différentes sources d’inspiration que j’ai dans la vie, tels que les tissus du monde, la pop culture et les dessins animés. »

Je crois comprendre qu’en fonction du message, il choisit le mode de représentation le plus pertinent. Improbable hypothèse ! Pour faire hurler des animaux, il est nécessaire que leur identification soit immédiate et que le message ne soit pas masqué par un patchwork dont la variété des motifs et des couleurs séduit l’œil et le capte. Si je compare les abeilles peintes par Masai, ici et partout ailleurs dans le monde, elles sont semblables, peintes d’une manière hyperréaliste mettant en valeur le velours de l’abdomen et la transparence des ailes. Par parenthèse, je connais des abeilles beaucoup moins belles et qui piquent ! Son discours sur les abeilles est limpide : il faut sauver les abeilles, ne serait-ce que parce qu’elles sont belles !

La démarche du « patchwork » est un peu différente : l’artiste nous montre des animaux iconiques rendus encore plus beaux par la grâce des arts. Certes, nous le suivons…du moins en partie !

 Ils sont beaux, ce sont de véritables trésors de la nature, voilà pourquoi nous devons les protéger. En partie, car ces animaux sont comme les fourmis de 18 mètres, ça n’existe pas ! Ce sont des animaux de fantaisie qui vivent dans l’imaginaire luxuriant de l’artiste. Pourquoi faudrait-il protéger des animaux qui n’existent pas !

Pour vous dire mon sentiment, je dirais doctement que l’excès dans la recherche décorative brouille le message, par ailleurs, juste et nécessaire. Comme les ados d’hier, je pense que les animaux patchwork de Masai sont « too much » et comme ceux d’aujourd’hui qui sont « trop beaux ». Ou comme aurait dit feue ma grand’mère : « Le mieux est le mortel ennemi du bien ». 

Exemple de patchwork.

La Marianne de Jo Di Bona.

La galerie en ligne Wall 51 et les associations Dam et Delamoursurlesmurs ont organisé le 18 et le 19 mai sur les quais du canal de l’Ourcq à Paris un Festiwall accueillant des artistes « émergents » et des artistes confirmés. Le « line up » est, à ce titre, révélateur : 13 bis // Andrea Ravo Mattoni // Ardif Streetart // Aurélie Andrès // Bab // Basto // Creyone Centrentedeux // DACO // Jeanjerome //JBC // Jo Di Bona // Joachim Romain artiste // KASHINK // Madame // Meton Joffily // Oji. // Philippe Hérard // Stew // Tea Amr // Vincent Bargis // Jean Yarps // Yola Yolart // Zenoy.DKC . Bref, que du beau monde !

La Marianne de Jo Di Bona, Festiwall, quai de la Loire, Paris, 2019.
Toutes les photographies sont de l’auteur.

Jo Di Bona disposait, cette année, d’un beau mur. Il s’agit du mur formant pignon d’un bâtiment faisant face à un des deux magasins généraux du quai de Marne. Sa surface est importante, environ 10 m sur 6. Jo Di Bona a représenté un portrait de Simone Veil en Marianne. Le choix du sujet signe un acte fort de la part de l’artiste ; un choix qu’il convient de resituer dans un contexte pour en saisir la signification.

Jo Di Bona est à ma connaissance le seul « collagiste » à mettre en œuvre avec talent une technique originale qui lui est propre. Nous en dirons 2 mots, peut-être 3 !

J’avoue n’avoir pas « vu » que Simone Weil dont je reconnaissais le portrait était représentée en Marianne. J’ai cru voir des cheveux alors que Simone Veil est coiffée du célèbre bonnet phrygien. Certes, le bonnet n’est pas rouge et une cocarde aux couleurs du drapeau national n’y est pas cousue. Le portrait est une photocopie en grand format en noir et blanc. Ceci explique, peut-être, cela. Dans un deuxième temps, sachant que je devais voir Marianne, j’ai cherché et trouvé le fameux bonnet. Un bonnet qui transforme Mme Veil en symbole de la République.

L’œuvre de Jo Di Bona est un écho d’une polémique qui a débuté en février 2019. Rappelons les faits. C 215, pochoiriste reconnu, pour célébrer l’entrée au Panthéon de Simone Weil a peint deux portraits de la grande dame sur une boite aux lettres du XIIIe arrondissement de Paris. Un arrondissement dans lequel l’artiste a ses habitudes. Dans la nuit du 11 février, les deux portraits ont été tagués de croix gammées. L’émotion dans l’opinion publique a été à la hauteur de l’outrage. Alors que la panthéonisation de Simone Veil était pour tous légitime et comprise comme le juste hommage de la patrie à une dame dont les mérites n’étaient contestés par personne, deux croix gammées ramenaient Mme Veil à son passé douloureux de rescapée de la Shoa. Christian Guémy, alias C 215, qualifia l’acte de vandalisme, d’« abject » et de « lâche ». Une cérémonie fut organisée le mardi après-midi suivant sur le parvis de la mairie d’arrondissement. Devant Pierre-François Veil, l’un des fils de Simone Veil, des membres de la famille, Jérôme Coumet, le maire divers gauche du XIIIe, le représentant du Conseil représentatif des Institutions juives de France, Mme Hidalgo déclara : « « Nous sommes ici pour réparer cet acte odieux. Dire que nous condamnons. Qu’on ne laissera pas banaliser cet antisémitisme ».

L’affaire eut un large écho dans la presse écrite et audiovisuelle. En réponse à cette « profanation », un groupe d’élus a poussé la sénatrice Fabienne Keller, vice-présidente du parti Agir, proche de la majorité, à formuler officiellement auprès du chef de l’Etat la demande que Marianne soit représentée sous les traits de Simone Veil.

 Interrogée sur les raisons qui justifient sa demande, Mme Keller a déclaré : « Simone Veil fait partie du cœur et de la conscience collective de notre nation. Son parcours et son engagement ont inspiré et donné de la force à de nombreux Français. Elle incarnait à elle seule les valeurs de la démocratie, de la justice sociale et de l’équilibre européen. Sa lutte contre l’antisémitisme, pour les droits de l’Homme et pour l’égalité des rapports entre les hommes et les femmes sont des exemples pour tous. La vie de Simone Veil est à un appel à refuser toutes les compromissions avec les extrémistes, les populistes, les marchands de malheur. Avoir son visage sur ce buste présent dans toutes les mairies, témoin des mariages et d’autres actes civils importants, m’est naturellement venu à l’esprit quand j’ai appris les récents actes antisémites. »

Christian Guémy est intervenu pour effacer les croix gammées et la demande est restée sans réponse. Pour l’heure. Certainement pour longtemps. La politique n’est pas régie par la morale et l’exécutif considère à coup sûr « qu’il est urgent d’attendre ».

Soigner n’est pas guérir. Entre temps, les actes antisémites se sont multipliés, les cimetières profanés, des croix gammées taguées.

A mon humble avis, ce sont à ces manifestations de racisme que Jo Di Bona a voulu réagir en reprenant, à sa manière, l’idée de Simone Veil en Marianne.

L’analyse de l’œuvre révèle d’autres intentions. D’abord, le portrait qu’a choisi l’artiste est la photographie qui a été utilisée lors de la panthéonisation. Histoire de faire clairement le lien entre l’entrée de Mme Veil au panthéon et Mme Veil, symbole de la République.

Quant au processus de création, la meilleure manière d’en rendre compte est de laisser l’artiste le faire ; « Je commence par peindre entièrement le mur à l’ aérosol avec des formes géométriques très colorées influencées par le Graffiti le tag et les lettrages, ce par quoi j’ai commencé dès 1988. J’y ajoute ensuite quelques pochoirs très basiques de trames directement empruntés au Pop Art et à Roy Lichtenstein en particulier (des points, ronds et lignes). Ensuite, je viens maroufler quelques grandes affiches publicitaires en couleur, et pour finir un très grand visuel imprimé en noir et blanc que je colle par-dessus le tout. Puis je déchire et gratte les couches successives de papier avec un outil tranchant pour revenir au point de départ (le graph coloré), et surtout pour donner l’illusion que le mur a vécu. »

La Marianne de Jo Di Bona est jeune, très belle, cernée de couleurs vives et, un peu partout, s’inscrit le mot amour et paix. Loin d’être la Marianne guerrière de la Révolution, c’est celle qui unit dans l’amour partagé ses enfants.

Photographie ayant été reprise lors de la cérémonie de l’entrée au Panthéon de Simone Veil.
Les boites à lettres peintes par C 215 et recouvertes de croix gammées.

Banksy à Venise.

Venise, la ville-musée, patrimoine de l’humanité, ses gondoles, sa biennale, « l’événement artistique le plus grand et le plus prestigieux du monde », et un petit monsieur, manteau sur les épaules, chapeau sur la tête qui installe près de la place Saint-Marc son chevalet et ses tableaux. 9 tableaux encadrés et un cadre vide. Une pancarte sur laquelle est écrit ; « Venice in oil ». Des badauds qui regardent les toiles. Le petit monsieur attend le client en lisant le journal. Deux policiers interpellent le petit monsieur et, en anglais, lui disent qu’il n’a pas d’autorisation et qu’il doit partir. Le petit monsieur remballe ses tableaux ; il les entasse dans sa carriole ; il pousse sa carriole ; clap de fin. Dans le fond de la scène, on voit un énorme bateau de plaisance qui a accosté.

Les photographies sont tirées de la vidéo de Banksy diffusée sur Instagram.

 La scène pseudo classique peinte sur les toiles oppose la modernité du navire de croisière au pastiche d’une Venise pittoresque de la fin du XVIIIe siècle. L’ensemble est un clin d’œil aux toiles vendues près de la place Saint-Marc, toiles ayant le même intérêt que celles vendues à Paris place du Tertre.

Une scène somme toute banale, sauf qu’il s’agit d’une « intervention » de Banksy, filmée par l’artiste et mise en ligne sur les réseaux sociaux. Dans un post, le célèbre street artist anglais revendique son initiative et donne la raison de cette mise en scène : n’étant pas invité à la Biennale qui rassemble à Venise le ban et l’arrière ban de l’art contemporain, c’est sa manière, provocatrice de s’inviter.

Arrêt sur images. Les 9 tableaux sont en fait des parties de la représentation d’une scène : un navire de croisière comme ceux qui longent les quais de la place Saint-Marc tous les jours et déversent un peu plus loin leurs milliers de touristes, se fraye un chemin entre les gondoles d’une Venise de Canaletto.

Une pancarte écrite dans un anglais à double sens : la ville de Venise peinte à la peinture à l’huile et/ou Venise (engluée) dans le pétrole.

Un cadre doré vide : rien à voir (ou à montrer).

 La scène pseudo classique peinte sur les toiles oppose la modernité du navire de croisière au pastiche d’une Venise pittoresque de la fin du XVIIIe siècle. L’ensemble est un clin d’œil aux toiles vendues près de la place Saint-Marc, toiles ayant le même intérêt que celles vendues à Paris place du Tertre.

Cette intervention de Banksy, après sa « Petite fille au ballon » déchiquetée après sa vente chez Sotheby’s le 5 octobre 2018 à Londres, est à rapprocher de celle de New York. Le 12 octobre 2013, Banksy a installé un petit stand de vente de toiles près de Central Park. Elles représentaient des œuvres originales de l’artiste, aisément identifiables, vendues 60 dollars. Selon le Street Art News leur valeur était de 23.500 euros. Le vendeur a gagné en une journée de travail 420 dollars !

Le dispositif « banksien » est comparable : un comparse vend des toiles dans la rue, d’autres comparses filment la scène, Banksy, le montage terminé, diffuse sur les réseaux sociaux la vidéo.

Notons la « lourdeur » du dispositif de la caméra cachée : le choix du lieu, la préparation du « matos » (pour Venise, peinture de 9 toiles !), écriture du scénario, apprentissage des « rôles », réalisation complexe, le film sur Venise est constitué de plusieurs plans et d’un travelling nécessitant plusieurs opérateurs dont les actions sont coordonnées, des plans bien cadrés, bien exposés, montage etc.) Dans les deux cas, pour réaliser une vidéo de qualité professionnelle, une équipe de techniciens est nécessaire, en amont pour la préparation, pour le tournage, pour le montage.

Notons que dans les deux cas de figure, l’événement est le film. Ce que montre les vidéos est bien davantage un non-événement que nous pourrions résumer de la manière suivante : A New York, un marchand a vendu des toiles. A Venise, un marchand n’en a pas vendu avant d’être chassé par des carabiniers. C’est l’ensemble vidéo-revendication par Banksy qui crée l’événement.

Alors se pose la question des « pourquoi » ?

Dans l’événement new-yorkais, il s’agit assurément d’une critique acerbe du marché de l’art. Curieuse assertion, c’est le prix de l’œuvre qui lui donne sa valeur ! Une toile vendue 60 dollars, grosso modo, en vaut 30, c’est-à-dire…pas grand-chose, presque rien ! Un pochoir « signé » Banksy a trouvé preneur chez Sotheby’s à 1,185 million d’euros !

Pour l’ «événement » vénitien, sa chronologie, le fait qu’il se soit déroulé pendant la Biennale, révèle que Banksy poursuit son procès du marché de l’art. De là à affirmer que l’artiste de Bristol revendique l’accès du street art à la Biennale, il y a un pas que je ne franchirai pas. En tant qu’artiste, Banksy porte sa parole, et seulement la sienne, et poursuit sa critique du commerce des œuvres.

 Une œuvre « vaut » non pour elle-même, pour ses qualités intrinsèques, mais par le rapport entre l’offre et la demande. Comme toutes les marchandises dans une économie libérale. De plus, last but not least, quand un acheteur, un « amateur d’art » dit-on, veut gagner de l’argent grâce à l’achat et à la vente d’œuvres d’art, il procède de la manière suivante : tout d’abord, il achète dans une grande institution renommée genre FIAC, ou mieux encore de prestigieuses salles des ventes comme Sotheby’s ou Christie’s, voire (nous y voilà !), la biennale de Venise. Les œuvres proposées à la vente ou aux enchères sont expertisées, référencées, publiées dans un catalogue qui généralement indique l’historique des acquisitions et les noms des anciens propriétaires. C’est un sérieux viatique qui donne des garanties sur l’œuvre et justifie, en quelque sorte, son prix. Au moment de la revente, dans la grande majorité des cas, les experts, les commissaires-priseurs, les galeristes partent des prix de vente et d’achat de l’opération précédente augmentés, si les dieux de l’Olympe vous sont favorables, d’une somme variable correspondant à l’évolution du marché.

Pour réduire les risques, deux conseils :  acheter des œuvres connues du monde des Arts…cher, très cher, et en acheter plusieurs ! La collection limite les risques (on perd sur une œuvre mais on fait la culbute sur une autre…).

Il n’est pas nécessaire d’être un amateur éclairé. Il suffit d’avoir un solide compte en banque. Vous pouvez rémunérer des experts qui choisiront les œuvres pour vous et les achèteront en salles des ventes. De la même manière, ils vous donneront de précieux conseils pour tirer le meilleur profit de votre collection. Avec les bénéfices, vous pourrez investir en complétant votre collection, le plus souvent gardée dans de solides coffres numérotés dans des pays « amis » des Arts (sic).

Je vous entends me poser la question qui tue : « Quelle est la place de l’Art dans le marché de l’Art ? ». C’est une excellente question ! C’est même la question que pose Banksy. A cette question, je n’ai pour l’heure pas de réponse. Mais, j’y réfléchis !

La seconde raison est l’écho qu’a donné Banksy à la lutte des habitants de Venise contre les immenses paquebots de croisière qui polluent non seulement l’air mais aussi l’écosystème et le paysage.

 Une partie du problème est réglée, du moins sur le papier, grâce à une décision du comité interministériel du 7 novembre 2019 qui stipule que les navires d’une capacité supérieure de 100.000 tonnes n’auront plus le droit d’entrer dans la lagune et qu’ils devront accoster d’ici 3 ans dans le port industriel de Marghera.

 L’accident du 2 juin 2019 relance la polémique. Rappelons qu’un bateau de 65.000 tonnes pouvant accueillir 2700 passagers, le MSC-Opéra, a dérivé pendant plus de 500 mètres dans le canal de la Giudecca avant d’éperonner un bateau de taille plus modeste, le River-Countess, et de heurter le quai. L’accident dont les conséquences sont limitées donne un caractère concret aux risques que fait courir la circulation des gros navires de croisière dans le centre historique de Venise.

Pour ces deux raisons, poursuivre et approfondir une critique d’un art soumis aux lois du marché, médiatiser la lutte des habitants de Venise, l’agit-prop de Banksy est la bienvenue. Qui, d’ailleurs, pourrait le faire à sa place !


Les grincheux diront à coup sûr que Banksy est le premier à bénéficier du marché de l’art et qu’on ne doit pas cracher dans la soupe. Les autres verront dans le montage complexe et fort coûteux de ses « interventions » des initiatives citoyennes qui interrogent notre système économique.

Si je continue à penser que la scène désormais fameuse de la déchiqueteuse a été bidonnée, je reconnais bien volontiers le caractère pédagogique des initiatives de l’artiste qui s’adresse, non aux happy-few du « monde des arts », mais aux citoyens lambda qu’il convient d’interpeller par des mises en scène de situations concrètes qui exposent clairement et simplement des problématiques complexes.