Itvan Kébadian présente du 6 décembre au 8 décembre 2019 au 26 de la rue Baudelaire à Paris une série de 80 tableaux qui déclinent un thème unique, celui de l’intériorité. Un thème qui fédère certes l’ensemble des œuvres mais aussi et surtout une exploration des images enfouies dans les tréfonds de l’esprit de l’artiste. Un « for intérieur » qu’il s’agit de partager avec les « regardeurs » en créant des images.
Comme un kaléidoscope, les tableaux sont des traces des images qui hantent l’imaginaire d’Itvan Kébadian. Des traces subtiles, comme on parle d’une vapeur subtile, réduites à quelques traits. Dessin et peinture se mêlent pour évoquer sans trahir, suggérer sans dire, les émotions, les émois, les affres, les tourments d’une âme. Dessin à l’encre de Chine, un pastel sec traité en aplats comme un glacis de peinture à l’huile, voilà pour les traces. Le trait marque les limites des objets et des êtres. Limites entre deux espaces, l’extérieur et l’intérieur. Des surfaces, pas de volume. Une réduction drastique de la représentation. L’économie de la trace oblige le « regardeur » à compléter l’œuvre, créer ce qui n’est pas donné, cohérence des formes et signification. La trace réduite a minima génère l’activité du « regardeur » qui devient ainsi le coauteur de l’œuvre. L’appropriation est dans cet échange.
Si la production des œuvres a été pour Itvan Kébadian, au sens littéral, une introspection, ses tableaux sont pour nous des passerelles pour comprendre le monde souterrain d’un artiste. Il est fait de situations, de personnages et de couleurs. Dans cette plongée en eau profonde, les personnages sont plus esquissés que dessinés. Des formes entraperçues, sans identité véritable, entretenant avec les autres personnages et les objets des relations étranges, mystérieuses, plus suggérées que décrites.
Itvan Kébadian construit, le temps passant, une œuvre d’une grande puissance évocatrice, une œuvre qui laisse dans les mémoires des « regardeurs » de profondes traces. Des traces d’autant plus profondes que ce sont ces regardeurs qui ont contribué activement à les construire. Kébadian est un peintre non pas du vide mais du presque rien, de la limite entre les espaces. Si le dessin est l’architecture de ses œuvres, c’est parce que le trait est le lieu de rencontre entre deux espaces. Nos sensibilités à ses tableaux résonnent. Itvan Kébadian est bien sûr « la matière de son œuvre », comme tous les artistes, mais aux traces qu’il laisse sur le papier font écho nos émotions.
Son exposition est à voir, à méditer, à ressentir, à vibrer. Elle est exceptionnelle quant à la nature du défi relevé par l’artiste et la qualité des œuvres.
A l’occasion
du Festiwall 2019, j’avais consacré un billet à la fresque d’Ardif[1]
pour dire tout le bien que je pensais de ce jeune artiste. Sa fresque du Mur
Oberkampf suscite un vif intérêt et met en lumière le talent singulier d’Ardif.
Elle
représente un dragon et occupe quasiment tout l’espace du panneau publicitaire
mis à la disposition de l’association le M.U.R. par la mairie d’arrondissement
(4x3m). L’espèce des dragons volants est composée de maintes
sous-espèces : le dragon peint par Ardif est, dirons-nous, asiatique (il
n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail des différences entre les dragons
tibétains, chinois et japonais). Disons que ce dragon est tibétain puisque
l’artiste dédie son œuvre au Tibet (Art for Tibet). Il déploie son long corps
serpentiforme sur toute la longueur du mur. Sur le modèle des mechanimals, apparaissent
comme un écorché les organes internes du dragon faits de pièces mécaniques et
d’architectures anciennes. Le dragon est peint en noir et blanc[2]
sauf l’iris de l’œil peint en bleu.
[2] Plus
précisément, sur le fond noir du mur, Ardif a utilisé des blancs et une riche
gamme de gris.
Depuis de l’Homme
peint, il a peint des animaux. Ce n’est donc pas leur représentation qui
distingue Ardif des autres artistes. Quoique la précision du trait et la
qualité de l’exécution soit tout à fait remarquable. L’originalité du projet
artistique d’Ardif qu’il nomme les mechanimals, néologisme ardifien
formé de la contraction de mécanique et d’animal, est la combinaison d’une
peinture animalière et d’« dessin technique ».
Ne pouvant
tout dire sur l’art d’Ardif, je me concentrerai sur ce qui me parait le plus
novateur, le mélange de mécanique et d’architecture censé figurer les
entrailles du dragon.
Novateur, j’emploie
le mot à contre-sens, car ce curieux mélange renvoie à une esthétique de la
seconde moitié du 19e siècle. Attardons-nous, quelques instants sur
ce que j’ai qualifié de « dessin technique ». Bien sûr, c’est une
image car l’œuvre est intégralement peinte. Mais, le trait par sa précision
évoque le dessin industriel. Dans un entretien récent, Ardif y fait référence :
« L’apprentissage du dessin technique a influencé ma façon de faire, par
l’utilisation du feutre fin, du Rotring. Je pars souvent d’un crayonné assez
grossier pour la composition, avant de dessiner l’animal. Ces outils permettent
de travailler les textures, plumes, fourrures, ou écailles, qui vont venir
ensuite influencer le travail sur la partie mécanique et les objets qui vont la
composer. » Il est vrai que l’artiste, fils d’architecte, a fait des
études d’architecture.
Dans sa fresque du Dragon, Ardif n’a ajouté qu’une seule touche de couleur, le bleu de l’œil. Si on regarde d’un peu près l’ensemble de sa production, les collages et les fresques, le moins qu’on puisse dire, c’est que le peintre utilise la couleur avec une relative parcimonie, du moins pour la partie mécanique des animaux. Ce trait renforce la parenté avec le dessin technique. Par ailleurs, l’utilisation de gris, de noirs de différentes densités et de blancs plus ou moins purs renforce le contraste avec la partie « physique » de l’animal. Ardif insiste sur ce point avec justesse : « Le noir et blanc est une base que j’apprécie beaucoup, même si de temps en temps je le rehausse de couleurs car il y a des animaux dont la teinte évoque directement quelque chose, qu’il s’agisse du rose du flamant ou de la couleur rousse du renard. Cela marque un contraste encore plus marqué avec la machine et apporte une nouveauté. »
Les éléments
mécaniques évoquent un temps ancien, celui de la Révolution industrielle, de la
machine à vapeur, pour la situer approximativement la seconde moitié du XIXe
siècle, en gros le Second Empire. La mécanique est non seulement celle d’un
autre temps, elle est vieillie également dans son aspect. Ardif pourrait
représenter de superbes engrenages en cuivre ou en laiton, combinés avec des
pignons en acier, noir avec des reflets bleus. D’autres l’ont fait avant lui.
Il donne à ses mécaniques anciennes la patine du temps qui passe. Ce ne sont
pas la brillance des métaux qui l’intéresse mais bien davantage le renvoi à une
esthétique. L’artiste « cite ses sources » dans une interview : « C’est
une influence culturelle qui vient des films que j’ai adorés, comme Star Wars,
qui représentent un futur vieilli, cabossé et underground. L’Art, comme la
ville, doit avoir une patine, des strates. La technologie que je dessine ne
pourrait pas être Apple, c’est une technologie au mécanisme ouvert, qui montre
les circuits imprimés. La technologie, c’est d’abord une mécanique, une chaîne
de production. C’est la même chose en architecture : je préfère un béton brut à
un béton enduit, un bois brut à un bois lisse et vernis, un métal rouillé à un
métal poli. Le steampunk, c’est la culture de Jules Verne et d’Hayao Miyazaki :
les machines volantes n’y sont pas des concordes ! En cela, le Château
ambulant, avec son architecture improbable mais cohérente, est un fantasme. »
Quid du « steampunk » ?
Une définition de ce courant littéraire est sans doute nécessaire : « Il
s’agit d’une uchronie faisant référence à l’utilisation massive des machines à
vapeur au début de la révolution industrielle puis à l’époque victorienne. L’expression
steampunk, qui signifie littéralement « punk à vapeur », parfois traduite par «
futur à vapeur », est un terme inventé pour qualifier un genre de littérature
né à la fin du XXe siècle. Le terme a été forgé à la fin des années 1980 en
référence au cyberpunk (terme apparu en 1984). »[1]
L’influence de la littérature steampunk a certainement été décisive dans le
murissement du projet artistique d’Ardif mais j’ai la faiblesse de penser que
les illustrations des romans de Jules Verne et en particulier celles de la
collection Herschel ont joué un rôle essentiel dans ses choix de représentation
(utilisation du noir et blanc, dessin « futuriste » des machines et
des véhicules etc.).
Illustration oeuvre de Jules Verne.Illustration de Hayao Miyazaki .Sculpture de J. Tinguély.
J’avoue être sensible à cette esthétique et cela pour des raisons toutes personnelles. J’ai été fasciné par les 10 pavillons Baltard des Halles de Paris, à l’architecture du fer d’Eiffel. Le souvenir de ma découverte du musée des Arts et Métiers, il y a un peu plus d’un ½ siècle, reste un moment fort teinté de joie et de mystère. Aujourd’hui, la station de métro du musée rend compte de cette esthétique ; une station en cuivre rouge transformée en Nautilus, avec ses hublots et ses engrenages géants. A 10 ans, je voulais être chauffeur de locomotives. Elles étaient monstrueuses, énormes, piaffant des jets de vapeur et d’eau bouillante, leurs roues d’acier crissant sur les rails dans un feu d’artifice d’étincelles. J’aurais voulu les conduire comme Ben-Hur son char ! Elles étaient des « bêtes humaines » comme les animaux d’Ardif sont des animaux-machine.
Comment
qualifier la fresque que Danaé Brissonnet vient de peindre sur le Mur12 à Paris
? D’aucuns diraient bizarre, fantastique, étrange, surréaliste, onirique… Ils
n’auraient pas tort ! La fresque est tout cela à la fois et peut-être plus
encore.
Elle
représente une longue bestiole avec une tête et un corps qui court sur le long
mur courbe. Elle est, en effet, orientée. Dans un coin du mur, une toile
d’araignée et une énorme tête suivie des « anneaux » de la bête.
Anneaux allant du plus grand au plus petit.
Mur12. Une partie de la fresque.Le masque tenant la maison de l’araignée.Les danseuses de French cancan. Les homoncules dans leurs « alvéoles ».
Elle
représente une longue bestiole avec une tête et un corps qui court sur le long
mur courbe. Elle est, en effet, orientée. Dans un coin du mur, une toile
d’araignée et une énorme tête suivie des « anneaux » de la bête.
Anneaux allant du plus grand au plus petit.
Une drôle de
bête, au demeurant, avec de drôles de pattes. Une tête qui ne ressemble pas du
tout à une tête de bêtes dûment répertoriées et des « anneaux »
ressemblant bien davantage à des épis de blé curieusement habités par des êtres
à têtes humaines. Quant aux pattes, les antérieures ressemblent à des jambes de
femme, les postérieures à des pattes de crabe. Enfin, je dis « bestiole »
mais ce n’est peut-être pas une bête. Je dis « épis de blé » comme
j’aurais pu dire, « fleur fraichement déclose ». Je dis « patte
de crabe » comme j’aurais pu dire « patte d’insecte ». En fait,
il faut bien l’avouer, je vous le concède : mon ignorance est totale. Je ne
sais pas nommer ce que je vois.
Digression
Chemin
faisant, nous remarquons la difficulté d’un locuteur de nommer ce qu’il voit
mais ne comprend pas. Il procède alors par comparaison et par métaphore, c’est-à-dire,
en tâchant de rapprocher des éléments inconnus d’éléments connus de tous. Ainsi,
par approches successives, pas à pas, nous décrivons une réalité approchée certes
mais, comme la ligne d’horizon, jamais atteinte.
Le fait de
ne pouvoir nommer les détails et a fortiori l’ensemble de la fresque m’a amené
à poser à l’artiste la question naïve de la signification de l’œuvre. Je vous
livre, brut de décoffrage, sa réponse : « Le millepatte se transforme
en French cancan à la fin où la dernière danseuse regarde à travers le masque qui
est la tête ! Et elle regarde la petite araignée qui est prise dans une maison
ou bien c’est sa maison ? » Je vous vois, lecteurs, froncer les sourcils.
Avez-vous saisi le sens de la fresque ?
Un résumé s’impose ! Nous avons donc une araignée, nous en voyons
la toile, qui est suspendue par un fil, et qui est dans une maison. Nous avons
alors une douloureuse alternative : soit l’araignée est prise dans le
piège de la maison, soit la maison est son domicile et non la toile susnommée.
A ce personnage, il convient d’ajouter un autre acteur : un millepatte
composé en partie, et en partie seulement, de danseuses bien parisiennes de
French Cancan. Ce millepatte formé d’une longue théorie de danseuses a une
danseuse, la première en partant de la tête, ou la dernière en partant de la
queue, une danseuse disais-je qui, devant-elle, tient un masque. Lequel masque
tient un long fil tenant une maison avec, à l’intérieur, une araignée. Fiat
lux !
Le masque est « habité » par un homoncule.
La lumière a
peut-être laissé quelques zones d’ombre. Quelques compléments s’imposent pour
accéder au graal, le sens de l’œuvre. La
canadienne Danaé Brissonnet est peintre mais elle crée également des
marionnettes et des masques. Il ne vous aura pas échappé qu’à l’intérieur des
« anneaux », il y a des personnages. Nous n’en voyons que le visage
et le haut du corps. Les visages sont tous différents mais ils se ressemblent. Tous
regardent les spectateurs qui les regardent. Dans le masque nous retrouvons ce
même visage, comme un motif redondant. Les marionnettes et les masques de Danaé
Brissonnet empruntent ces mêmes traits.
A la
réflexion, la présence d’une foultitude de petits personnages m’évoque Le
jardin des délices de Jérôme Bosch. Convenons que les œuvres sont fort
différentes. Mais, l’irruption, hors de toute situation, de visages humains,
est peut-être une réminiscence de L’enfer et du Paradis, icônes mondiales du
bizarre !
Détail du Jardin des délices de J. Bosch.
Autre
observation, l’araignée est dans une maison, une maison comme en dessinent
encore les enfants de l’Ecole maternelle, avec un toit à double pente, des
fenêtres, une porte. Bref, une représentation iconique de la maison. Ces mêmes
maisons, nous les retrouvons dans les marionnettes, les personnages et les accessoires
créés par Danaé Brissonnet.
Dans les
créations de cette artiste, nous retrouvons presque à tout coup ces mêmes
motifs : le visage et la maison. So what ?
Je ne sais pas. Pour avoir regardé avec
attention les fresques que l’artiste a peintes un peu partout dans le monde, je
remarque l’importance des symboles. Visages humains et maisons ont-ils dans
cette œuvre une valeur symbolique. Certainement. C’est la piste que nous livre
Danaé Brissonnet : « J’aime bien laisser l’imagination du passant
aller vers un chemin initiatique ». Je comprends bien que le chemin vers
la Connaissance est jalonné par des symboles pour guider celui qui cherche la
Lumière mais rien n’est plus polysémique qu’un symbole ! L’univers
symbolique est étroitement lié à une culture et aucun symbole, me semble-t-il,
jusqu’à preuve du contraire, n’a une valeur universelle. Les visages posés sur
des corps annulaires renvoient autant à l’humanité qu’à l’animalité. La maison
est un refuge, certes. La forte occurrence de visages et de maisons dans les
multiples créations de l’artiste a-t-elle un sens pour Danaé Brissonnet ?
Peut-être, certainement, c’est possible voire probable (soupir prolongé dont la
signification ne vous a pas échappée). Je pense volontiers que tout signe porte
une signification, consciente ou non. Reste à savoir si l’artiste est
consciente de la signification des symboles qu’elle peint ! Je pense également
que ce que nous cache l’artiste doit rester caché !
Les comédiennes devant la fresque.Les masques représentent les homoncules. Masques et fresque se répondent.Mural de Danaé Brissonnet.
Finalement,
confronté à une œuvre de cette nature, le problème de la signification est
second, l’essentiel ce sont les émotions que suscite la fresque. Quant au sens,
chacun le construira avec ce qu’il a, ses connaissances, ses expériences, ses
images, ses désirs, ses peurs etc.
La fresque n’est
qu’une partie de la « performance » de l’artiste. Devant la fresque
jouant le rôle d’un élément de décor de théâtre, l’artiste et des comédiennes,
donnent un spectacle. Un spectacle fait de mime, de marionnettes, de musique. L’« intervention »
de Danaé Brissonnet est un ensemble : en plein air, dans un cadre urbain,
des comédiennes jouent une pantomime, les thèmes, les costumes, les
marionnettes, les accessoires sont en étroite relation avec la fresque murale.
La
comparaison avec la commedia dell’arte semble évidente : des comédiens
portant des masques perchés sur des tréteaux, le fond de la scène fermé par un
rideau peint formant le décor. Réalité approchée encore ! L’idée n’est
certes pas neuve mais elle trouve ici une reformulation d’une grande
intelligence. Le street art se conjugue avec le théâtre et la musique pour
proposer aux chalands un spectacle.
Comédiens posant devant une fresque de Danaé Brissonnet.L’artiste devant le masque.
Sans le savoir (ou peut-être en le sachant !), vous êtes cher lecteur, chère lectrice, des Gouzous.
Je devine votre anxiété devant cette nouvelle. Rassurez-vous, nous sommes tous des Gouzous. Des Gouzous ignorés des dictionnaires et snobés par les moteurs de recherche. A la question simple en apparence, qu’est-ce qu’un Gouzou ? Les algorithmes googéliens répondent par le mépris, vous n’existez pas et vous êtes un ouzou, un gourou, un zouzou voire un gozo. Les Gouzous existent, je les ai rencontrés[1].
Les Gouzous ont un père (tout comme Tintin, Spirou, comme vous et moi !), Jace. Pourquoi ce nom bizarre de Gouzou ? Il faut le demander à leur créateur, « C’était une expression utilisée par un pote quand on était au lycée pour désigner les gens. » Bref, Un Gouzou, c’est comme vous et moi.
Certes, mais que représente-t-il ? « Le Gouzou » est un peu mon alter ego, déclare Jace, c’est un peu l’alter ego de beaucoup de monde en fait : c’est un humain asexué sans couleur de peau avec ses qualités, ses défauts. Il vagabonde dans les rues depuis 1992, laissant exprimer ses états d’âme. Il est réduit à sa plus simple expression par souci d’abord de rapidité : ces peintures sont en effet réalisées à 85% sans autorisation. Puis je me suis rendu compte que l’absence de visage permettait à tout un chacun de se l’approprier, de s’identifier et de laisser part à son imaginaire. C’est une sorte de miroir de notre société. »
Et pourquoi ce graphisme singulier ? « Le graphisme est une recette mélangeant plusieurs ingrédients glanés ici et là chez d’autres artistes. Une espèce de gloubi-boulga dans ma tête. ».
A y regarder de près, et même de plus loin, le Gouzou n’est pas un représentant standard de notre belle humanité. D’abord, il faut aborder les questions délicates, le Gouzou est jaune. Cerné de noir. Selon les situations il est asexué mais pas toujours. Le plus souvent, il ne porte pas de vêtement, sans pour autant être nu. Parfois, il est habillé ; ça dépend des histoires dans lesquels le ci-devant Gouzou est impliqué. Le Gouzou est naïf, farceur et a le sens de l’humour, traits de caractère qui le distingue de ses contemporains les Hommes.
Il est sentimental et n’hésite pas par les moyens appropriés à déclarer sa flamme. Nous ne savons rien de sa vie sexuelle mais il est vrai que ça ne s’étale pas sur les murs !
Est-ce une métaphore ? Il existe une machine à fabriquer les Gouzous (j’invite mes chers lecteurs à faire l’impasse de ce questionnement avec leurs jeunes enfants). Le Gouzou a une déontologie. Ce n’est pas parce que votre identité est réduite à quelques traits que vous n’avez pas de morale !
Peindre sur les murs des villes des Gouzous est chose utile, comique et coûteuse. Aussi, Jace peint des toiles, représentant des Gouzous, qu’il vend dans des galeries. Il peint également de superbes fresques de grandes dimensions.
L’observateur suit, par Gouzous interposés, les voyages de l’artiste. Les Gouzous au Havre, Les Gouzous à La Réunion, en Islande, à l’île Maurice, à Paris, à Tchernobyl etc.
Les Gouzous ne naissent pas, comme ça, ex nihilo. Ils sont le résultat de la rencontre d’un environnement et d’une histoire. Les Gouzous ne sont pas comme les tags, les graffs, une manière de marquer son passage : ils racontent une histoire. A l’origine de l’histoire, presque rien : des portes, des fenêtres, des barreaux, un tas de gravats, toutes choses appartenant à l’univers des villes que nous ne voyons pas effacées par leur côté ordinaire qui, soudain, génère un récit avec des personnages, les Gouzous, une symbolique des émotions et du langage. Un récit qui arrache rires et sourires. Ces récits sont comme des aventures d’un héros de bande dessinée. Sauf que l’humour vient de notre perception nouvelle d’éléments banals de notre vie quotidienne.
Bien peu de street artistes ont à ma connaissance créé sur le modèle des Gouzous de Jace des personnages récurrents. Je pense à leurs cousins les Gugusses de Philippe Hérard, sauf que le rire n’est pas de même nature. Au chat de M. Chat qui comme les Gouzous a parfois des ailes d’anges. Sauf que le chat est unique de sa race. Dans la famille Gouzou, on trouve des hommes et des femmes, des anges aussi. Et une mythologie, la fabrique à Gouzous, l’arbre à Gouzous etc.
En fait, Jace avec légèreté joue avec tout ce qu’il trouve. L’architecture des villes, un « accident » de la nature, des maisons rurales, des paillotes au bord de la mer. Il a créé non pas seulement un dessin, un graphisme, mais une galerie de personnages qui s’amusent de tout et de rien. Pour le meilleur et pour le rire. Pour l’émotion aussi.