Covid-19, la gloire du pangolin.

Les mois passent et nos certitudes concernant le SARS-CoV2 s’effritent (c’est le nom savant du coronavirus qui nous gâche la vie voire davantage). Chaque jour de nouvelles théories invalident les précédentes. Elles portent pourtant sur des choses essentielles : les modes de transmission, les symptômes, la thérapie, les séquelles, la vaccination etc. Quant à l’origine de la pandémie les théories s’affrontent. Pour certains, le virus est une création humaine et il s’est échappé sournoisement d’un laboratoire de Wuhan. Pour d’autres, le séquençage de son ADN montre à l’évidence que ce coronavirus est naturel.

Reste à savoir d’où il vient ? De chauves-souris vendues sur un marché, de pangolins dont les Chinois consomment la viande et utilisent les écailles dans leur pharmacie traditionnelle, de chauves-souris via le pangolin ? Bref, soyons synthétique :  personne n’en sait rien !

Le pangolin étant un animal connu de sa famille et de ses proches mais peu connu en occident, le pangolin est devenu l’animal symbole du Mal qui court. Les street artistes, les dessinateurs pendant la période de notre confinement national se sont emparés de ce pauvre pangolin pour, dirais-je, le mettre à toutes les sauces.

Aujourd’hui, la représentation de l’animal a disparu des radars. Plus généralement, alors que la pandémie s’étend et fait des ravages quasi historiques, les réseaux sociaux ne diffusent plus d’images ayant trait au covid-19.

Il est vrai que l’actualité des violences policières et du racisme a relégué dans les couches profondes de notre conscience les images de la pandémie, images dérangeantes s’ils en aient. Collectivement, pour se protéger, pour avoir moins peur, les réseaux sociaux qui fonctionnent comme une caisse de résonance de nos émotions ont tendance à moins diffuser les images qui réveillent notre désarroi, confrontés que nous sommes à cette maladie encore plus effrayante qu’elle est mal connue. Pour avoir des « likes « sur Facebook, il vaut mieux diffuser l’image d’une fresque représentant une caricature de Trump qu’une représentation insoutenable d’un enfant atteint sur un lit d’hôpital, intubé, et dont le corps est relié par des tuyaux à des machines.

Les millions d’images qui circulent dans les réseaux obéissent aux mêmes lois que celles qui régissent un individu. Comme un avatar de nous-même.

Revenons au pangolin, sujet de mon billet. Ardi et Grumo en ont fait un genre d’animal-machine, soulevant sa carapace pour en montrer le fonctionnement et l’architecture profonde, pour étonner et faire rire. Codex Urbanus, alors que les Français étaient confinés, a proposé pour nous occuper et nous divertir un « jeu du pangolin » inspiré du jeu de l’oie et un coloriage.

D’autres artistes en ont fait un être menaçant. Je pense à Valott à son pangolin bombe à retardement, au pangolin personnifié qui nous menace. Maillot, dans un dessin d’une grande beauté, nous fait partager le regard interrogatif d’un Africain qui regarde un pangolin, enroulé dans sa main.

En montrant un pangolin, on en a moins peur et utiliser son image pour jouer est une catharsis nécessaire.

 Pointer le rôle néfaste de l’Homme dans la rupture des équilibres écologiques est une vérité scientifique. Maintenant, laisser entendre que dans le cas du coronavirus, c’est l’intervention humaine qui est responsable de la pandémie, c’est s’aventurer sur des chemins mal balisés qui devront être confirmés par la communauté scientifique.

A mon sens le plus surprenant quand on examine les représentations que les artistes nous proposent du pangolin, c’est l’intérêt plastique de son dessin. Le fait qu’il se mette en boule comme les hérissons bien de chez nous a généré des images fort belles, à la limite de l’héraldique, qui souligne deux caractères de l’animal : la géométrie de ses écailles, l’ensemble très graphique de son corps enroulé. Sans nul doute, le pangolin apparait comme un bel animal. Et on ne charge pas un bel animal de tous les péchés du monde !

Le pangolin a eu bon dos dans cette période difficile. Il nous interroge sur sa responsabilité dans la pandémie, son image est un bon support d’une catharsis collective, sa « beauté » bizarre a séduit par son aspect antédiluvien et sa très géométrique carapace. 


Valott, la Covid à l’épreuve de l’humour suisse.

Valott est de son état dessinateur de presse. Il publie régulièrement ses dessins dans deux journaux suisses : « 24 heures » et « Le Matin ». Comme tout bon dessinateur de presse, le métier se perd et c’est fort dommage, il suit l’actualité et propose aux lecteurs des dessins dont le but avoué est d’arracher un sourire à ses fidèles lecteurs.

A partir de mars 2020, l’épidémie et son macabre cortège de milliers de personnes infectées et des milliers de morts ont envahi le champ de l’actualité reléguant au second plan les autres informations. Toutes les chaînes de télévision, toutes les stations de radios, tous les journaux, tous les réseaux sociaux ont, jour après jour, suivi les ravages du virus et focalisé leur attention sur les recherches le concernant, sur les modes de propagation, sur les symptômes, sur les gestes-barrières, sur les avancées des laboratoires pour mettre au point un vaccin. Impossible dans ces conditions de ne pas « parler » de la Covid 19. Valott ne pouvait pas ne pas en faire le sujet principal de ses dessins. Et cela pendant plusieurs mois. Jusqu’à une relative décroissance du nombre des personnes infectées et des décès.

Or donc notre dessinateur suisse (personne n’est parfait !) profitant du modèle de référence du virus qui s’est très rapidement imposé, une sphère couverte de moultes protubérances, a décliné avec un humour particulier les affres de ce satané virus et moqué les comportements de ses semblables.

Il est curieux de remarquer le nombre de références culturelles de ses dessins. De ses deux mains qui se touchent au-dessus d’un flacon de gel hydroalcoolique, référence au fameux plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange, à la hache qui fend une porte close, clin d’œil à la scène culte du film « Shining » de Stanley Kubrick, à « La grande vague de Kanawaga » d’Hokusai, à la trop célèbre petite moustache ridicule d’Hitler, aux dessins du virus « à la manière de ». Ajoutons pour faire bon poids, un Picsou masqué qui thésaurise les masques et le drapeau national symbole de la nation.

Si certains dessins sont drôles (j’avoue que la caricature du président brésilien Bolsonaro, tragique Père Ubu, est d’un burlesque assumé qui me ravit), d’autres prémonitoires (je pense à la photo de classe de l’année de grâce 2020 et à ce globe terrestre dont la rotation est coincée par un minuscule virus et à ce code-barre, symbole du commerce, fracassé par un virus).

La série de dessins de Valott est une chronique douce-amère de la période que nous venons de vivre. Il se moque avec retenue de nos travers, la recherche des masques et du gel hydroalcoolique en particulier, et porte un regard amusé et tendre sur notre humaine condition.

Notre homme publia ses dessins dans la presse et, comme ça, « pour voir », comme disent les joueurs de poker, les posta sur Facebook. Devant les bons retours, il a décidé de les réunir et d’en faire un livre qu’il a titré « Terriens, t’es rien ! ». Le jeu de mots certes qui attire l’attention du chaland mais dit également les limites de la puissance des Hommes.

Valott, dessinateur devant l’Eternel, le « monsieur qui dessine des petits Mickey », aurait dit feue ma grand’mère, rencontre l’enseignement des grands philosophes. Comment ne pas citer ce célèbre passage des Pensées de Pascal : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer ».

Aujourd’hui, écrivant ce billet à quelques encablures de la Catalogne, je me donne un mal de chien pour sourire. Je sais que cette humeur noire s’en ira, comme le temps, avec le temps tout s’en va (chanson connue). Resteront des traces, des fresques sur les murs, des dessins qui témoigneront de la Grande pandémie de 2020.


Thom Thom, un manifeste collagiste.

Le Mur Oberkampf pendant le confinement est revenu à sa destination originelle, un panneau d’affichage. Un panneau vide. Dès le déconfinement, Le Mur a invité Thom Thom. Un drôle de nom me direz-vous pour un artiste singulier qui réinvente, après d’autres, un art de l’affiche original.

 L’affiche est à la fois le matériau de son projet artistique et la finalité ultime. Un peu obscur voire sibyllin ? J’en conviens. Développons donc. Thom Thom sélectionne des affiches qui seront, « travaillées », des œuvres d’art ressemblant à des affiches. Chacun aura compris que le premier temps de la démarche est le recueil du matériau. En fonction de l’image que Thom Thom veut créer, l’artiste choisit avec grand soin des affiches. Des affiches publicitaires, des affiches de cinéma, pas d’exclusive, le choix est guidé par les images des susdites affiches et du « lettrage ». Photographies et typographies certes montrent et disent mais elles témoignent également d’une forme de culture, d’une période historique, de modes passées. Bref, les affiches sont à leur manière des « témoins de leur temps ». Le second temps est un méticuleux et long « travail » des images. Thom Thom (je l’avais montré dans un article paru voilà plusieurs années)[1] découpent un savant moucharabieh, complexe comme les fils de soie d’une toile d’araignée qui a deux fonctions, il cache et il montre. Autrement dit, des fragments d’affiches apparaissent dans les vides découpés par l’artiste. L’œuvre est formée de l’ensemble composé par les affiches « de fond » et du réseau réticulaire.


[1] https://entreleslignesentrelesmots.blog/2016/02/07/thom-thom-oxymores-avril-2015-paris/

L’artiste a « travaillé » deux affiches représentant un sarcophage égyptien et un portrait d’une très jolie femme posant avec sophistication devant l’objectif du photographe. Les « affiches réticulées » des sarcophages ont été collées aux deux extrémités du « mur ». Le portrait de femme forme le motif central. Entre les deux sarcophages et le portrait, du vide.

Thom Thom a invité des amis collagistes parisiens à venir pendant 12 jours coller des affiches dans les espaces libérés. Pendant 12 jours, Thom Thom est au pied de son mur pour accueillir ses potes et coller leurs prods. Le douzième jour, Thom Thom a prévu de décoller l’œuvre, de la découper en plusieurs morceaux pour les vendre.

Thom Thom qui a créé la structure de base devient, en quelque sorte, un maître d’œuvre qui colle (le plus souvent en concertation) les collages de ses amis collagistes.

Nous remarquons qu’à l’encadrement des sarcophages correspond un collage symétrique des œuvres par rapport au motif central du portrait. Les tigres de Mosko (Mosko, grand pochoiriste devant l’éternel, a, pour l’occasion peint ses pochoirs sur des affiches découpées), les tigres inversés, font pendant au portrait de Thom Thom. Ils découpent l’espace en trois parties, leur hauteur rythmant l’ensemble de la composition (alternance grand / moyen/grand/moyen/grand). Le collage de Paddy renforme l’axe central ajoutant au regard de la très jolie femme, un autre regard de femme qui non seulement regarde le regardeur mais photographie les photographes. Une mise en abîme pour les happy few. Les deux portraits de FKDL (celui de Joséphine Baker, si je ne m’abuse !), bien que collés à des hauteurs différentes concourent à la perception globale d’une composition symétrique.

Ce qui est plus ou moins vrai ! Certains collages sont uniques et un intrus, un pochoir, s’est même glissé dans l’œuvre ! La symétrie et surtout l’encadrement par les Toutankhamon organisent l’œuvre globale lui donnant une relative cohérence spatiale. En fait, les amis de Thom Thom ont apporté des pierres à l’édifice. Parfois de petites pierres, comme celles de 13 Bis, parfois une déclinaison en diptyque, comme les deux collages de Marquise.

Foin des symétries, filles de la géométrie, l’asymétrie voire le désordre perturbe la belle ordonnance de base. C’est dans ce désordre que le regard cherche dans la superposition des collages des trésors. La dysharmonie des couleurs renforce ce caractère.

Au-dessus du collage, a été écrite (collée !) une longue phrase : « Nous devrions avoir moins peur des dommages collatéraux de l’activisme sur nos vies que du patriarcat. » Une phrase qui vient en résonance avec l’actuelle activité des revendications féministes.

Je vous entends me demander quel est le rapport entre cette phrase et l’œuvre ? Vous m’entendrez répondre : aucun. Et ce ne sont pas les portraits féminins qui nous donnent une clé pour saisir la relation entre une phrase comprise comme la légende de l’œuvre. Sauf que l’œuvre est une brillante défense et illustration du collagisme et que la phrase est écrite en collant une à une les lettres comme le font depuis septembre des groupes féministes. Ces groupes d’horizons différents ont collé plus de 400 phrases de cette manière pour lutter contre le « féminicide ».

Collages comme moyens de lutte politique, collages « artistiques », une même technique, une diversité d’objectifs et de messages. Des feuilles de papier, de la colle, des moyens frustres qui peuvent, utilisés avec intelligence et art, être de puissants médias. Pour faire de belles choses, de grandes choses, des choses utiles et pourquoi pas changer la Constitution.