TWE Crew : « Vive la Commune ! »

Dans un article récent[1] j’ai essayé de rendre compte, le moins mal possible, de la fameuse intervention en milieu urbain du jeune Ernest Pignon-Ernest pour célébrer le centenaire de la Commune de Paris, intervention in situ qui a été appelée par d’autres que l’artiste « Les gisants ». Fin avril 2021, 150 ans après la Commune et la Semaine sanglante (du dimanche 21 au dimanche suivant 28 mai 1871), il m’a paru intéressant de voir comment un crew de graffeurs parisiens, TWE crew, commémorait ces événements.

J’ai déjà à plusieurs reprises décrit le mur Karcher, appelé ainsi car il est situé en contrebas du square de même nom dans la rue des Pyrénées dans le 20ème arrondissement de Paris. Cet arrondissement populaire qui comprend les quartiers emblématiques de Belleville, de Ménilmontant, de Saint-Fargeau, de Charonne et du Père-Lachaise a été profondément marqué par les luttes populaires : la révolution de 1789, celle de 1830, celle de 1848, et la Commune de Paris. Ces combats, aujourd’hui encore, trouvent des échos dans ce que j’appellerais « la sensibilité politique » de ses habitants. Aussi, une fresque de plus de 40 mètres de long, dans cet arrondissement, pour commémorer la Commune n’est pas un fait anodin alors que la polémique fait rage pour savoir si les institutions de la 5ème République doivent célébrer l’écrasement par la Seconde République d’une révolte qui portait des idéaux révolutionnaires.


[1] https://www.entreleslignes.be/le-cercle/richard-tassart/ernest-pignon-ernest-sur-les-pav%C3%A9s-de-paris-j%E2%80%99%C3%A9cris-ton-nom-libert%C3%A9

La fresque[1] a été peinte par 4 membres de TWE : Lask, Kraco, Kwim et Soyer. Les 3 premiers ont respectivement peint une partie du mur Karcher et Soyer s’est chargé du lettrage. Par souci de méthode, il convient de décrire les interventions des artistes en suivant un sens de lecture. J’ai choisi arbitrairement de le faire de gauche à droite.

Kraco a choisi de représenter une scène d’émeute et plus précisément une barricade. Il garde du récit historique l’érection et la défense de la barricade, le drapeau rouge qui depuis la Commune symbolise le combat contre l’ordre bourgeois représenté par le drapeau bleu, blanc, rouge, et l’idée d’une foule armée d’armes dérisoires (la fourche, la hache etc.). C’est sur un fond rouge qu’il écrit « Vive la commune » et « Les enfants perdus » pour renvoyer au drapeau rouge des insurgés. Si des symboles de la Commune sont bien présents, la scène se déroule à notre époque. Les vêtements des personnages, le masque à gaz, le cocktail Molotov, la batte de baseball brandie par un émeutier, l’attestent. L’expression « Les enfants perdus » évoquent l’enrôlement des enfants pendant l’insurrection. On pourrait résumer l’intervention de Kraco par le refrain de la chanson d’Eugène Pottier écrite en 1886 : « Tout ça n’empêche pas, Nicolas/ Qu’la Commune n’est pas morte ! » Pour l’artiste, les idéaux de la Commune demeurent et il propose d’inscrire les luttes actuelles dans le droit fil de celles des Communards. Il commémore la Commune en en montrant l’actualité. 


[1] Powered par Art Azoï

Les personnages de Kwim illustrent à la fois la référence à la Commune de 1871 et l’actualité du combat des Communards. Une jeune femme dont on lit sur le beau visage la détermination armée d’un fusil avance vers l’ennemi, les Versaillais. Sa robe, son fusil marquent explicitement l’emprunt au passé historique de l’insurrection populaire. Elle témoigne du rôle des femmes dans cet épisode dramatique de notre histoire nationale. L’accent est mis sur le rôle combattant des « communardes » dont l’implication dans la Commune de Paris fut un temps fort dans le combat pour leur émancipation. A ses côtés, un jeune black au sweatshirt siglé TWE lève le poing. Le poing levé est une allusion à « L’Internationale » qui fut composée par Eugène Pottier pendant la Semaine sanglante. Le couple communarde/ jeune black est une déclinaison du concept précédemment développé par Kraco, à savoir l’actualité révolutionnaire du combat des insurgés.

La contribution de Lask est originale. C’est en caricaturant à la manière de Daumier des bourgeois de la fin du 19ème siècle qu’il renforce le message politique des contributions de Kraco et de Kwim. Son intervention dessine plus qu’elle ne peint un groupe de huit personnages dont les attributs évoquent les bourgeois : les chapeaux dont plusieurs hauts-de-forme, les redingotes, les gilets, le pantalon rayé, renvoient aux archétypes des bourgeois honnis.  Cette scène qui pourrait être une scène somme toute banale de la vie parisienne est « perturbée » par des détails qui en change la nature : le couteau et la tête posée sur un plateau transforment ces beaux messieurs en voleurs et exploiteurs prêts à tout pour s’enrichir. Le groupe « à la Daumier » est complété par 3 autres personnages anthropomorphes : un bourgeois gras à la tête de bouledogue prêt à mordre, les yeux injectés de sang, le symbole de l’euro écrit en lettres de sang sur le gilet, un bourgeois à la tête de rat fumant une cigarette et un bourgeois à tête d’oiseau tenant un pistolet factice affichant les initiale NWO[1].


[1] https://en.wikipedia.org/wiki/New_World_Order_(conspiracy_theory)

J’ai demandé à Lask le sens de son intervention. Il l’explique de la façon suivante : « Pour la fresque des 150 ans de la commune de Paris, j’ai représenté́ dans la première partie la bourgeoisie avec des têtes d’animaux pour rappeler certains faits commis par elle pour préserver ses privilèges sans penser aux bien commun et à la famine qui a sévi pendant la Commune. Quant à la deuxième partie, elle symbolise les complots et la fourberie des élites envers le peuple. »

Les caricatures de Lask témoignent à la fois de la connaissance des référents historiques et du degré de mépris et de haine de l’artiste pour la bourgeoisie de l’époque. Le portrait à charge de l’artiste de ces bourgeois de la pire engeance est actualisé avec humour et subtilité par la référence discrète au NWO.

La fresque des TWE est complétée par une citation de Louise Michel : « La révolution sera la floraison de l’humanité comme l’amour est la floraison du cœur ». Une manière de dire, par l’emploi du futur, que la révolution reste à faire. La Commune a été un combat perdu certes mais ses idéaux d’égalité, de justice sociale demeurent. La Commune doit être vengée et continuée, en détruisant l’ordre bourgeois par l’émeute.

TWE crew à l’initiative des Black lines, illustre un street art politique qui doit être un outil de communication au service de la révolution. Formellement, il s’impose des contraintes chromatiques, peinture noire sur fond blanc, fresques ponctuées par des touches et des lettrages rouges et du point de vue du fond laisse s’exprimer librement les artistes qui le constituent.


Seth.« Playtime », l’expo.

Nota bene.

Ceci n’est pas une introduction (pour le lecteur qui veut absolument qu’un billet soit introduit, je ne saurais trop recommander l’article que j’ai précédemment écrit[1]). C’est tout au plus un « chapeau » pour cerner le périmètre de l’article qui suit.

Parlons de l’intérêt de commenter des expositions. Tout d’abord, il convient de distinguer les types d’expositions. Certaines mettent en avant un lien thématique et exposent des œuvres d’artistes différents abordant un même sujet, sujet qui donne son titre à l’exposition. D’autres, appelées « solo shows », exposent les productions d’un seul artiste, œuvres liées par un sujet commun et une même unité de temps. Ces dernières fournissent d’inestimables informations aux critiques et autres curieux pour qui elles constituent un repère thématique et chronologique, repère bien utile pour cerner une production dans son ensemble.


[1] https://entreleslignes.be/le-cercle/richard-tassart/seth-le-globe-painter-l%E2%80%99enfant-prom%C3%A9th%C3%A9en

L’exposition proposée par la galerie Itinerrance en février 2020 à Paris, consacrée à Seth, était de cette nature. Le galeriste a réuni des œuvres, des toiles et des statues de l’artiste, ayant été réalisées pour l’exposition et donc dans une même période.

Le commentaire des œuvres peintes que je vous propose est centré sur les tableaux et ne prend pas en compte les œuvres antérieures et les fresques réalisées « dans la rue ». Cela signifie que telle ou telle observation qui vaut pour les toiles de l’exposition Playtime peut avoir des exceptions si les œuvres n’ont pas été peintes dans ce cadre précis.

Playtime.

Les toiles de Seth déclinent un thème cher à l’artiste : l’enfance. Les personnages peints, en effet, sont tous des enfants. Des garçons et des filles d’une dizaine d’années ; de jeunes enfants beaux et curieux. Ils interagissent avec des objets ou des éléments de décor et sont représentés en situation, certains statiques, d’autres en mouvement.

Le regardeur est saisi tout d’abord par le hiératisme des toiles. Elles sont toutes composées de la même manière : elles sont focalisées sur le personnage situé au centre. Ce qui peut sembler être un « élément de décor » est, en fait, bien plus qu’un décor puisqu’il introduit par sa relation avec le personnage une interrogation voire un mystère. En cela les tableaux de Seth ne sont pas des portraits d’enfants mais des représentations en situation d’actions effectuées par des enfants.

Les enfants entrent ainsi dans des arcs en ciel ou des ciels. De la même manière que le chromatisme des enfants ne cherche en rien le naturalisme, les couleurs des arcs en ciel sont des variations graduées sur des couleurs vives et franches, des verts, des rouges, des bleus. Couleurs graduées certes mais, dans le même temps, recherche d’oppositions et d’harmonie.

Les ciels sont bleus, d’un bleu d’azur, bien sûr. Quant aux formes géométriques bizarres qui contiennent des enfants et d’où ils sortent pour aller vers le ciel immense et infini, mais représenté symboliquement par une petite surface de couleur, elles sont géométriques et complexes. Leurs couleurs sont des kaléidoscopes de teintes peintes en aplats, en opposition chromatique le plus souvent.

Dans les deux cas (les enfants qui entrent dans des arcs en ciel/ des enfants qui sortent de solides géométriques), la situation est une énigme pour le regardeur. Si les solides sont géométriques, les espaces dans lesquels se meuvent les enfants ne sont pas des espaces réels figurés. Les lois de la gravité n’y ont pas cours. Les enfants semblent être libérés des lois physiques et évoluent dans un espace tridimensionnel. Dans ces espaces rêvés, des enfants veulent franchir un obstacle pour aller vers l’inconnu. C’est précisément ces situations qui nous questionnent. Ouvertes, les situations « tolèrent » toutes les interprétations. On peut y voir la volonté de passer d’un âge à un autre, de devenir « grand ». Mais aussi le désir de comprendre ce qui est caché. Deux tentatives d’interprétation parmi tant d’autres possibles. Toutes ne sont pas pertinentes certes, mais de nombreuses le sont.

Les solides géométriques sont des équivalents graphiques des arcs en ciel et les possibilités d’interprétation sont les mêmes.

Notons que les œuvres exposées (sauf une) suivent ce schéma interprétatif. Cette proportion des œuvres qui reprennent le thème du passage sont dans la production de Seth très majoritaires. Les œuvres ayant un autre sujet apparaissent comme des exceptions. Le quasi systématisme du choix du thème du passage signe l’identité plastique de l’artiste.

SI le thème du passage, est récurrent dans la production de l’artiste, l’absence de représentation des visages des enfants est tout aussi récurrent. Les visages des enfants ne sont jamais, dans les toiles de l’exposition, représentés de face ou de trois-quarts. C’est un choix de l’artiste qui, à plusieurs reprises, dans d’autres situations, a peint des visages d’enfants de face. L’absence des traits est une anonymisation des personnages. Ce qui conforte le fait que les œuvres ne sont pas des portraits. Cette impasse interroge le regardeur de la même manière que la situation de passage. Là aussi, faute de pouvoir trancher, toutes les interprétations sont vraies. L’absence d’individualisation peut signifier que les personnages sont davantage des figures symboliques de l’enfance que de véritables personnages. Je militerais pour une autre explication. L’absence des traits distinctifs est une mise en scène du mystère qui entoure les toiles.

Seth est un peintre du merveilleux de l’enfance. Le merveilleux est créé par des « effets », l’absence des traits du visage et le thème du passage. L’utilisation constante d’« effets » n’est en rien détestable. Tous les peintres en utilisent et en ont toujours utilisés. Le monde de Seth est un monde fictionnel qui emprunte à la littérature de jeunesse. Comme Alice, les enfants de Seth veulent passer de l’autre côté du miroir. Un monde hors de l’espace et du temps. Un monde de rêve. Comme dans « Alice au pays des merveilles », il est vain d’essayer de tout comprendre et a fortiori d’expliquer. L’émotion suffit : elle est une fin en soi.

Le monde des enfants de Seth a deux niveaux de lecture. C’est le très étrange monde du jeu enfantin. Les enfants, tous les enfants de tous les pays, jouent. Et somme toute de la même manière. Les objets sont des supports et des propositions à leur imaginaire. Un imaginaire qui ne connait guère les limites de la logique et de la raison raisonnante. Dans ce théâtre tout est possible : les enfants volent comme Peter Pan, les éléphants comme Dumbo, les animaux parlent, les brindilles trouvées sur le sol deviennent des pistolets ou des sabres-lasers. Bref, les enfants improvisent des saynètes, mettent en récit à partir de ce qu’ils connaissent des histoires qui n’obéissent qu’à leurs désirs. Dans ce sens, le titre de l’exposition, Playtime, fait sens.

Le deuxième degré de lecture intègre le jeu enfantin comme une manifestation spontanée de l’imagination mais interroge la fonction de ce jeu. Que se joue-t-il dans le jeu des enfants ? Une nécessaire échappée belle du monde des Grands ? Une mise en ordre du réel par l’expérimentation des limites des possibles ? Une parenthèse psychologiquement nécessaire pour affronter les réalités du réel ? Une libre manifestation d’une des dimensions fondamentales de l’esprit, l’imaginaire ?

Seth est bien davantage le peintre de l’imaginaire du jeu enfantin que le peintre de l’enfance. Ses œuvres illustrent le temps du jeu (temps du Je ?), le paradis perdu des Grands. Un jeu qui n’a qu’un temps. Le moment où l’enfant invente le monde et le soumet à son désir.