Mode 2 fait le Mur Oberkampf.

Le Mur Oberkampf a invité Mode 2 à « faire le Mur » le samedi 14 mai 2022. Son mur est un mur de circonstance. En effet, Mode 2 a peint 11 personnages, 11 portraits encadrés par 3 lettrages qui se lisent de la gauche vers la droite. Le premier (Vous étiez où le 10 avril ?) fait référence aux abstentionnistes (28,01%) du premier tour de la toute récente élection présidentielle. Le second lettrage reprend le slogan de l’Union populaire, union représentée par Jean-Luc Mélenchon. Enfin le troisième (RDV aux législatives) est une invitation aux élections des prochaines élections législatives.

Résumons. L’artiste après avoir interpellé les électeurs du premier tour qui se sont abstenus et n’ont donc pas voté pour l’Union populaire, reprend à son compte le slogan de campagne de Jean-Luc Mélenchon et invite les abstentionnistes des présidentielles à désigner le leader de l’Union populaire comme « premier ministre » du gouvernement présidé par Emmanuel Macron. Un Premier ministre qui conformément à la Constitution constituerait un gouvernement pour mettre en œuvre sa politique. Ce que d’aucuns ont nommé une « cohabitation ». La fresque de Mode 2 est certes une fresque politique mais elle s’apparente davantage à une affiche de campagne de L’Union populaire. Interpellation des électeurs, reprise du slogan de campagne, incitation forte voire injonction douce à voter pour que la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) ait une majorité de députés à l’Assemblée nationale.

Je laisse bien volontiers à d’autres le soin de commenter le contenu politique de cette œuvre. Les politologues de tous poils, sociologues et experts gloseront à longueur d’antenne de la « formidable espérance déçue » d’une jeunesse reconnaissant dans un programme politique leurs aspirations à une réduction des inégalités sociales, à une authentique révolution verte, à un repositionnement de la France sur le plan international.

Chroniqueur au petit pied je préfère centrer mes remarques sur le « visuel » de la fresque, de ce qu’elle nous donne à voir.

La fresque est un portrait de groupe. Un groupe de manifestants guidés par une jeune femme représentée en position centrale. Les autres personnages sont répartis en deux sous-groupes quasiment identiques et s’inscrivent dans deux espaces : l’un est peint d’une couleur sombre et renvoie au premier tour de l’élection présidentielle, l’autre séparé du premier par des nuages blancs, est peint d’un bleu clair. Comme un passage de l’ombre à la lumière (je laisse au lecteur le soin de faire le rapprochement entre l’échec de l’Union populaire et l’hypothétique triomphe de la Nupes aux élections législatives)

La représentation des personnages est caractéristique du style de Mode 2. Ils sont dessinés plutôt que peints. Le trait remarquable d’expressivité l’emporte sur la couleur qui souligne un relief, met en évidence quelques traits saillants des personnages. Comme pour le fond, deux grandes zones de couleurs : à gauche une plus sombre, à droite une plus claire voire saturée de lumière.

Le personnage central de la composition est symbolique. Il semble échappé de « La liberté guidant le peuple » de Delacroix. Le rapprochement entre la Révolution de 1830 et la fresque n’est pas fortuit (quoiqu’il soit certainement involontaire !) « Le nouveau monde » prôné par J.L Mélenchon est un projet stricto sensu révolutionnaire. La Liberté est ici une jeune femme noire qui lève le poing. Le poing levé est un symbole et un référent. Un symbole de lutte appartenant à la geste des révolutionnaires du 19ème et du 20ème siècle. Notons que le mouvement populaire est « guidé » par une femme (qui n’est ni la République ni Marianne).

Les autres personnages révèlent ce que l’artiste comprend comme être le peuple de France. Des hommes, des femmes, des enfants. Des jeunes et des moins jeunes. Parmi eux des hommes et des femmes noirs, une femme musulmane portant un voile, des pères de famille, des gamins portant des casquettes américaines. Une foule « inclusive » n’excluant personne et renvoyant à une image plus conforme à notre réalité sociale. Une France riche de sa diversité, une France multiculturelle qui porte un projet révolutionnaire.

Outre le contenu dont l’analyse n’est pas de mon ressort, la fresque de Mode 2 illustre une « certaine idée de la France ». Une France métissée qui fait fi des différences de genre et de religion. Une France unie et fraternelle qui porte le flambeau d’une révolution à venir. Mode 2 nous renvoie en miroir cette image d’une société que certains se refusent à voir. Une image d’une grande beauté formelle, un plaidoyer pour la tolérance, une image qui augure des lendemains qui chantent.



Ukraine : « Au secours ! »

Je suis un intellectuel moyen, comme on dit un Français moyen. Etudes supérieures, grand lecteur, observateur attentif de la politique, lecteur assidu du journal Le Monde, spectateur passionné d’Arté, surfeur agile sur Internet, accessoirement bon connaisseur du street art.

Je pensais jusqu’il y a peu être bien informé sur les affaires du monde quand j’ai découvert par hasard sur Facebook la page publiée par Euromaïdan Arts and Graphics.

Les administrateurs de la page en donnent les objectifs : « Nous avons lancé cette page en novembre 2013 dans le but d’atteindre rapidement un public international anglophone et de diffuser des informations actualisées sur le Maïdan (la place de l’Indépendance de Kiyv) et toutes les régions d’Ukraine. Depuis 2014, la Crimée et certaines parties des régions de Lougansk et de Donetsk sont occupées par la Russie. En février 2022, nous avons dû la renouveler pour couvrir l’actualité de la guerre Ukraine-Russie. »

Certes j’avais suivi avec sympathie la Révolution orange en 2004, la prise par les manifestants pro-russes de Donetsk du siège du gouvernement de la province le 7 avril 2014, le référendum du 11 mai sur le statut de la ville, le début du soulèvement séparatiste dans le Donbass. Depuis 2014, je croyais savoir que des troubles opposaient l’armée ukrainienne aux séparatistes ukrainiens pro-russes et aux soldats russes. En fait, je croyais savoir mais je n’avais pas compris que depuis 2014, l’Ukraine livre une guerre meurtrière à la Russie et à ses affidés depuis 8 ans !

Entre 2014 et 2020, la guerre a causé plus de 13 000 morts selon l’ONU (3350 civils, 4 100 membres des forces ukrainiennes et 5 650 membres de groupes armés pro-russes) [1]


[1] Source Wikipédia

La prise de conscience de la réalité de la guerre en Ukraine a été une épreuve. A un point tel que je m’interroge aujourd’hui devant une telle erreur de jugement. C’est assurément de ma responsabilité car toutes les informations étaient disponibles dans la presse. Pourquoi n’ai-je pas saisi la réalité de la situation : la Russie de Poutine faisait la guerre à un état démocratique qui aspirait en entrer dans la Communauté économique européenne et dans l’Otan. Un état européen situé à 2300 kilomètres de nos frontières !

Il est bien possible que mon aveuglement sur la guerre du Donbass ne soit pas la fameuse exception qui confirme la règle. J’en viens à remettre en question les connaissances que je croyais avoir sur l’état de notre pauvre monde. Le pire serait que je ne sois pas le seul ! Intello moyen parmi tant d’autres !

Revenons à la page Facebook de Euromaïdan Arts and graphics. Cette page est explicitement un média ukrainien de propagande. Comme d’autres. Les administrateurs sélectionnent les images produites par des artistes dans le monde entier pour soutenir le combat contre la Russie. Les choix faits par les administrateurs éclairent les thématiques qui sont mises en avant par la résistance à l’envahisseur.

La page se présente comme un journal. Un journal de guerre. Les documents mis en ligne suivent l’actualité du conflit. L’accent est mis sur les crimes de guerre (voire le génocide) commis par les soldats russes et les victoires de la résistance ukrainienne. Ainsi, des illustrations nous montre avec retenue les abominations perpétrées à Mariopol, à Boutcha ou à Kramatorsk. Notons que ne sont jamais représentés les cadavres des soldats, que ce soient des Ukrainiens ou des Russes. Quant aux victimes civiles, elles sont davantage évoquées que représentées. Le dessin a été préféré à la photographie.

Le focus sur les victimes civiles se centre sur les populations les plus faibles : les personnes âgées et les enfants. La représentation des enfants contraints à la séparation et à l’exil tient quantitativement une place importante. Il est simple d’en comprendre les raisons : si les crimes de masse relèvent du droit international, les souffrances des « innocents » renvoie au « massacre des Saints innocents » un épisode de l’Evangile selon Matthieu. Le couple mère-enfant a été vu et compris comme une pietà, une image de la Vierge éplorée portant sur ses genoux sur enfant mort.

La dimension chrétienne traverse l’ensemble des champs sémantiques. Sont convoquées les images pieuses chères aux croyants : la Passion du Christ, le Suaire de Turin, Zelenski en Saint Georges terrassant le dragon (en l’occurrence l’aigle à deux têtes russe), les soldats du Christ protégeant les assaillants.

La page participe à la construction du héros ukrainien. Les héros sont parfois des civils qui à l’aide de cocktails Molotov combattent l’avancée des chars russes ; le plus souvent des soldats, des hommes et des femmes, qui dans le feu et dans le sang, protègent les plus faibles et sauvent la patrie de sa disparition. Leurs faits d’armes sont quasiment célébrés : l’attaque du Moskva, le combat dantesque du régiment Azov dans les ruines fumantes d’Azovstal, la « libération » des villes et des villages occupés par l’armée russe.

L’humour a une fonction unique : il consiste à ridiculiser l’adversaire. C’est le pendant de la construction du mythe du héros. Le héros ukrainien est essentiellement un guerrier digne des récits antiques. Ses qualités sont la force physique et le courage. Un courage tel qu’il est prêt à se sacrifier pour sa patrie. Ce don de soi n’est pas étranger à la figure christique. De plus, son sacrifice est l’épreuve que le peuple doit affronter pour s’affirmer comme une nation (une nation différente de la nation russe). Par opposition, le soldat russe est un homme sans foi ni loi. Il est décrit comme un lâche et un voleur.

La page Facebook de l’Euromaïdan Arts and Graphics s’inscrit dans la guerre totale que se livrent l’Ukraine et la Russie. L’expression évoque la Totale Krieg de la Seconde guerre mondiale mais son sens aujourd’hui est bien différent. La notion qualifie un conflit armé qui mobilise toutes les ressources disponibles de l’État, sa population autant que l’économie, la politique et la justice. A cette mobilisation, il convient d’ajouter la cyberguerre et l’information sous toutes ses formes. Les artistes qui publient leurs œuvres sur la page de l’Euromaïdan Arts and Graphics participent de cette guerre totale. L’art via la propagande est au service de la Grande guerre patriotique ukrainienne.