Images de la pollution : De l’air ! De l’air !

Il est bien entendu que mon intérêt dans ce billet n’est pas de parler de la pollution. Je n’en connais pas plus de vous, lecteur et lectrice. Voire, beaucoup moins ! D’autant plus que le sujet est immense si nous nous référons à la définition qu’en donne le dictionnaire Le Larousse : « « Dégradation de l’environnement par des substances (naturelles, chimiques ou radioactives), des déchets (ménagers ou industriels) ou des nuisances diverses (sonores, lumineuses, thermiques, biologiques, etc.). Ma réflexion porte sur les images, plus précisément, les images créées par les street artistes.

Je compte consacrer plusieurs billets à la vision de la pollution tant les œuvres sont nombreuses et les thèmes différents.

Commençons donc notre série par la pollution de l’air. L’émergence du traitement de ce thème par les artistes est liée au sentiment d’urgence de la dégradation de la qualité de l’air et aux graves conséquences de cette dégradation sur la santé. Si le problème est ancien, le sentiment d’urgence est récent et tient essentiellement aux actions des associations et des partis politiques qui défendent les analyses et les objectifs écologiques.

Les artistes pour dénoncer la pollution de l’air ont d’abord représenté les fumées. Fumées noires sortant de cheminées d’usines, fumées menaçantes portant la mort au gré du vent. Graphiquement, les images créées étaient fortes mais elles avaient leurs propres limites. La pollution industrielle, sans disparaitre complétement des médias et des esprits, a été, non pas remplacée mais, complétée par celles des pollutions de l’air des villes. On sait que les grandes métropoles au 19ème siècle, lors de la Révolution industrielle, ont rejeté dans leurs banlieues les activités considérées comme trop polluantes. Nos sociétés de plus en plus urbaines sont plus sensibles aux pollutions occasionnées par les transports et le chauffage. De là, l’attention des artistes qui ont substitué à l’image d’une cause de la pollution de l’air, l’image de ses effets sur les habitants des villes.

Ce déplacement de la cause vers l’effet, a induit la figuration de la respiration. C’est mettre en cela l’accent sur les maladies respiratoires directement corrélées à la pollution atmosphérique.

Or, les artistes cherchent à créer des images, des images faciles à « lire » afin de provoquer une prise de conscience et exercer une pression sur les politiques. Un coup de billard à trois bandes. Seulement, l’air, y compris l’air pollué, est transparent ! Il y a bien une foultitude de particules mais elles sont microscopiques ! Une solution eut consisté à grossir les particules comme d’autres l’ont fait pour le virus de la Covid. Une autre solution lui a été préférée : peindre des personnages portant un masque. Ce que firent certains street artistes. Cela fit long feu ! L’arrivée de la pandémie de Covid et ses très fameux masques chirurgicaux changea la donne.

L’idée du masque a été conservée, mais de fil en aiguille, un glissement s’est effectué. De l’air qui est un gaz à masque à gaz, il n’y avait qu’un pas que des légions d’artistes franchirent. Les représentations de masques à gaz modernes n’eurent guère de succès. Lui fut préférée la représentation des masques à gaz portés par les soldats de la Première guerre mondiale.

Ces masques dont les images sont encore dans de nombreuses mémoires protégeaient les yeux et le système respiratoire des soldats. Le masque dit chirurgical protégeant le nez et la bouche était suffisant pour évoquer le risque de maladies respiratoires. Pourtant, c’est le modèle 14-18 qui s’est imposé.

Quelles en sont les raisons ?

On pourrait penser, dans un premier temps, à l’influence des gravures et des peintures d’Otto Dix. Il est vrai que la référence semble s’imposer ; des fresques sont de quasi copiés-collés des œuvres de Dix. Si, en n’en pas douter, le souvenir de ces gravures universellement connues peut expliquer l’emprunt, je pense que ça n’explique pas ce que je considère comme un phénomène : l’adoption de la représentation du masque de guerre, version 14-18.

Plus fondamentalement, le masque cachant le visage dans sa totalité déshumanise celui qui le porte et le transforme en monstre. Une métamorphose kafkaïenne d’autant plus choquante quand le mutant est un enfant.

Le discours change de nature. En quelques années nous sommes passés de la pollution de l’air, un problème de santé publique, à l’annonce d’un futur apocalyptique. Le vocabulaire visuel de la guerre a remplacé celui de la santé. Dans le même temps, l’image du masque à gaz version 14-18 s’est imposé par contamination et en raison de sa force évocatrice dans les œuvres récentes.



Dan Kitchener : Plein les yeux.

La récente découverte des œuvres peintes de Hush et Dan Kitchener a été le point de départ d’une réflexion sur l’influence de la civilisation japonaise sur le street art en occident.

 Je me suis souvenu à ce propos de ce mouvement des arts qui a été nommé le japonisme. Ce néologisme désigne l’incidence qu’a eu le Japon sur les arts décoratifs, les Beaux-arts, la littérature, la musique, la mode et les jardins entre 1860 et 1880. Doit-on voir dans les thématiques empruntées au Japon d’aujourd’hui une résurgence de ce mouvement ou un mouvement original n’ayant avec le mouvement du XIXème siècle aucune parenté ?

Disons tout d’abord, qu’il s’agit bien d’un mouvement. Il concerne la peinture mais également d’autres arts. Je pense par exemple au formidable succès des mangas. Leurs narrations et leurs esthétiques marquent la bande dessinée occidentale et plus largement les arts graphiques et les Arts décoratifs. Les jeux vidéo japonais ont renforcé l’impact des mangas en renouvelant narrations et esthétiques.

Alors que Hush, de manière anecdotique référé à sa production, voit dans la geisha et de son kimono des exemples de raffinement et de féminité, Dan Kitchener, son compatriote, consacre la quasi-totalité de sa production à des scènes de rue et à des portraits de geishas.

Si on saisit d’emblée l’intérêt pour un coloriste tel que Hush de peindre une des figures du Japon traditionnel, comment expliquer la centration de Kitchener sur deux aspects du Japon : la geisha et les scènes de rue.

La geisha est le modèle parfait des coloristes. Son visage est peint, sa coiffure est élaborée et le plus souvent ornée, son kimono de soie est une œuvre d’art. Il est plus long que le kimono classique et celui des jeunes geishas est décoré de motifs très colorés. Son ampleur et sa texture permettent à l’artiste de travailler le dessin des motifs, le drapé et les reflets.

Il semble que le portrait de jeunes geishas chez Kitchener exprime certes l’extrême raffinement de leur maquillage et de leur vêtement mais surtout, le portrait, symbolise le Japon éternel. L’image inchangée de la geisha traverse les profondes modifications de la société japonaise. Elle complète les scènes de rue et s’y oppose sur le fond et sur la forme. Elle complète les paysages urbains en montrant la permanence d’une image et d’une pratique sociale. Elle s’oppose car tout renvoie à la modernité (l’architecture des immeubles et des boutiques, les éclairages, les néons des enseignes, les automobiles etc.)

Si le diable est dans le détail, les détails des œuvres révèlent la nature de son projet de Kitchener. Les scènes ont été peintes sans modèle (elles ne reproduisent pas des photographies, elles n’ont pas été peintes « sur le motif ») ; ce sont des œuvres issues de l’imaginaire de l’artiste.

Regardons l’ensemble des scènes de rue. Ce sont des paysages urbains bien spécifiques de rues commençantes animés. Des paysages qui ne sont pas centrés sur un objet et détourant objet et décor, mais le sujet est le décor. Un ensemble baigné par l’obscurité qui fait briller les néons et les éclairages des vitrines, lumières se reflétant sur la chassée mouillée. Si les rues inventées s’inspirent de la rue japonaise, c’est que cette rue est unique par l’omniprésence et la densité des enseignes lumineuses, par la densité de ses foules. Ce n’est pas l’abondance des objets à représenter qui aiguise l’imagination du peintre, c’est la lumière. Lumières aveuglantes des néons pour attirer le chaland, variétés des couleurs des néons (toutes les couleurs sont possibles ainsi que tous les mélanges de couleurs obtenus par les diffractions)

Les scènes de rue ne sont pas des images du Japon moderne comme les portraits de geishas sont des images du Japon traditionnel. Elles sont des prétextes pour jouer avec la couleur.