La planète bleue.

Sur les murs de nos villes, une représentation de notre planète s’est imposée un peu partout dans le monde : un astre bleu flottant dans l’infini du cosmos. L’occurrence de cette représentation est étroitement corrélée à l’émergence et au développement récent des revendications écologiques. Pour comprendre la prégnance de la représentation de la Terre comme une boule voguant dans l’espace et sa signification, il faut, me semble-t-il, faire un détour par une dénotation de l’image elle-même avant d’interroger sa signification.

Notre Terre est représentée comme une sphère quasi parfaite dont la surface est majoritairement recouverte par les mers et les océans. En conséquence, la couleur bleue domine. Le cadre est centré sur le continent américain, le plaçant au centre de la demi-sphère sinon comme le centre du monde.

Cette image, comme toutes les images, a une histoire. Elle est l’héritière en ligne directe de l’image publiée en 1972 par la NASA.

 Rappelons que si, en 1968, la mission Apollo 8 rapporte une image d’un lever de Terre prise depuis les environs de la Lune, c’est le cliché de 1972 de la NASA qui, pour la première fois, montre la planète en suspension dans le vide intersidéral.

Cette image a été appelée « Blue marble », marbre bleu, qui sera traduite par la « planète bleue. Depuis le cliché resté fameux de 72, bien d’autres photographies de la Terre ont été prises de l’espace mais « blue marble » reste l’image emblématique de notre Terre.

J’y vois plusieurs raisons. Tout d’abord, la diffusion de Blue marble a été un événement d’une dimension mondiale.

Bien sûr, depuis que les Hommes observent le ciel, ils savent que la Terre est ronde. Les globes terrestres, les mappemondes en sont des illustrations. Seules quelques illustrations de fantaisie ont laissé penser que notre astre était plat comme une galette ronde. Les hommes de science de tous les  temps ont démontré par des observations simples la rotondité de notre planète. Personne n’en a douté, surtout pas les religieux qui dans les abbayes, les monastères et les écoles, pendant des siècles ont enseigné la rotondité de la Terre. C’était une connaissance, un savoir construit et non une perception de nos sens.

 Blue marble s’est donné à voir comme une authentique perception, une perception immédiate qui a changé sans retour possible en arrière les images que nous avions de notre planète. Nous avons vu en 1972, un astre bleu dans un espace noir, semblant flotter dans le vide. Un monde fini rapporté aux dimensions d’un espace impossible à voir et à comprendre. Un monde dans lequel les mers communiquent entre elles et les terres semblent régies par les mêmes phénomènes et les mêmes lois. Quant aux Hommes, on ne voit nulle trace de leurs œuvres, pourtant gigantesques.

1972, c’est également l’année du sommet de Stockholm sur l’environnement. La conférence des Nations unies sur l’environnement s’est tenue en Suède du 5 au 16 juin 1772. C’est la première d’une série de conférences décennales, les Sommets de la Terre. Elle a été préparée par de nombreux rapports dont le rapport « Nous n’avons qu’une Terre » de René Dubois et Barbara Ward. La conférence a jeté les bases du Programme des Nations unies pour l’environnement.

Blue marble (une image) et la prise en charge par une instance interétatique des problèmes de l’environnement sont des signaux forts d’une perception différente de notre place dans l’univers et d’une politique transnationale pour protéger notre planète.

Pour les artistes de notre début de XXIème siècle, l’image de la planète bleue est une référence fonctionnant comme une icône. L’emploi de cette image-référence renvoie à un faisceau d’idées : une image signifiant la préoccupation écologique, une image de la « Pachamama », une image de la globalité des problématiques auxquelles nous sommes affrontés.

Si les mots ont une histoire, les images en ont également une. Comme les mots, il y a des images initiales et des déclinaisons. Comme les mots, pour comprendre les images, il faut en connaître le contexte de création. La représentation de la Terre dans le street art est un modeste exemple de ce que pourrait être une archéologie du savoir.


Images du désastre écologique :  Back to Paradise.

Les street artistes sont des créateurs d’images. Images qui, fétus de paille, sont emportées par Internet et les réseaux sociaux. Les flux d’Instagram et de Facebook, pour ne citer qu’eux, charrient un fleuve jamais tari d’images. Dans ce maelstrom, difficile de saisir des régularités et des occurrences, pour faire émerger des structures, des thèmes et des sujets d’étude. Difficile certes, mais pas impossible. Pour cela, il suffit de réduire (réduire comme on le dit en algèbre) le nombre de données en les classant (classement par thème, par sujet pour le fond, classement en fonction des techniques pour la forme etc.) C’est un travail laborieux et, en la matière, comme les artisans d’antan, chacun doit fabriquer ses propres outils. Des outils de classement, des outils pour l’analyse et l’interprétation des sources.

Un exemple est, me semble-t-il nécessaire, pour illustrer cette approche. Voilà quelques semaines, j’ai commencé à écrire une série de billets sur les images de la pollution. Ecartant le projet d’une analyse exhaustive de toutes les manifestations de la pollution, j’avais restreint mon observation aux images de la pollution atmosphérique. J’avais essayé de montrer que la capillarité entre les images a donné naissance à une image iconique symbolisant la pollution de l’air : le masque à gaz dans sa version de la Première guerre mondiale.

Dans ce billet que j’entends consacrer à la biodiversité, mon objectif est le montrer, exemples à l’appui, que l’angoisse de la disparition des espèces s’exprime en empruntant les structures principales du récit biblique du paradis terrestre.

Les œuvres des street artistes s’inscrivent dans un large mouvement des idées qui promeuvent la protection de l’environnement pour protéger les espèces. Ce sont, en quelque sorte, des œuvres de combat. Et ce combat est éminemment politique. Il s’agit de faire pression sur les exécutifs nationaux en alertant les « regardeurs » et, au-delà, l’opinion publique, pour faire adopter des politiques vertueuses.

Les street artistes, dans un premier temps, ont d’abord représenté les animaux directement menacés par les menaces sur leur environnement : les baleines, les ours blancs, les éléphants, des singes, des abeilles etc. Le bestiaire s’est enrichi de représentations d’autres animaux, des insectes, des poissons, des oiseaux partageant un caractère commun : la beauté. Le sous-texte est le suivant : sans révolution écologique mondiale, cette beauté est vouée à la disparition. Certains artistes dépasseront le cadre réaliste de la reproduction de la nature en ajoutant une dimension purement décorative. Ainsi naîtront des animaux fantastiques, encore plus beaux que nature !

Des animaux menacés de disparition, le champ s’est étendu par contiguïté aux autres animaux donnant par extension naissance à des chimères belles et merveilleuses.

Des animaux en gloire, les artistes ont ajouté d’autres formes de vie, hélas menacées ; les coraux par exemple, les arbres, les fleurs et les plantes. D’abord représentées seules, pour elles-mêmes, les formes végétales ont fusionné avec les animaux pour produire de somptueux tableaux.

Les compositions ne se limitent pas à dénoncer les ravages de la destruction de la biodiversité, elles renvoient l’image d’un monde idéal dont la mort est annoncée. Comment le décrire ? Un monde dans lequel vivent en harmonie les espèces animales dans une végétation luxuriante. Un monde dominé par la beauté. En somme, un jardin d’Eden.

Un récit des origines du Mal se dégage de la multiplicité des œuvres. Notre monde était un paradis terrestre, la pollution dont seul l’Homme est responsable menace de le détruire. Pour conserver ce paradis, il faut détruire ce qui le détruit. Dans ce récit, la Mal incarné dans la Bible par le serpent, est remplacé par la pollution, qui est une œuvre démoniaque puisque comme Adam et Eve nous sommes chassés sans espoir de retour du Jardin des délices.

Pour raconter le monde tel qu’il va, les artistes, inconsciemment, réactualisent un récit vieux comme le monde. Ils réinjectent dans les mythes leurs angoisses et leurs peurs donnant à voir un discours sur la chute.