27 Pantin, un musée à ciel ouvert.

Je n’ignore pas que les « histoires d’amour finissent mal, en général ». Je connais une exception qui confirme la règle. L’histoire de l’îlot 27 à Pantin en Seine Saint-Denis. Un mariage réussi entre un projet d’aménagement urbain et un projet de création d’un MACO, un musée à ciel ouvert.

Au commencement, en 1971, est créée la Zone d’Aménagement Concertée de l’îlot 27. Une société d’économie mixte est mandatée par la Ville pour aménager le nouveau quartier qui devra mêler équipements publics, bureaux et logements sur une dalle. Entre 1971 et 1984 seront construits 967 logements, 2500 places de parking, 5 équipements publics et plusieurs ensembles de bureaux.

Sous l’impulsion de la Maison du projet, structure municipale en charge de la réhabilitation du nouveau quartier, le 27 Pantin a invité plus de 30 artistes à peindre des œuvres dans un vaste espace défini par la dalle et les parties communes des bâtiments. A ces artistes se sont joints les enfants de l’école Eugénie Cotton et du centre de loisirs Gavroche, deux des équipements intégrés au projet. Le MACO a été inauguré le 19 juin 2021. Les fresques devraient rester en place pendant une durée de 3 ans avant d’être recouvertes par de nouvelles fresques.

La visite du MACO est intéressante à plus d’un titre.

Le premier et le plus évident est la rencontre en toute liberté d’œuvres de qualité. Des artistes de grand talent ont en effet apporté leur concours à ce projet artistique ambitieux. J’ai particulièrement apprécié les œuvres sensibles de Louys, l’expressionnisme de Claks et Ciero, l’univers graphique de Théo Haggaï, les superbes rampes d’escalier peintes par DaCruz, la fantaisie de Kashink.

 La liberté semble avoir été le mot d’ordre donné aux artistes. Liberté dans la dimension des œuvres (de petites dimensions peintes sur des piliers de béton, de très grandes dimensions peintes sur des murs de plusieurs dizaines de mètres carrés). Liberté également des thèmes. Certes la part belle est donnée aux animaux (des baleines, des tortues, des lézards, des perroquets, des poissons, des chevaux etc.) mais des artistes proposent également de beaux portraits d’enfants, d’autres des compositions abstraites et géométriques colorées. Les fresques sont emblématiques du style des artistes ; elles signent leur identité plastique et constituent leur blason.

Si l’intérêt artistique du projet relève de l’évidence, il convient de mettre en évidence sa dimension sociale.

Lors de mes visites au MACO, j’ai été surpris à la fois par le calme du lieu et sa propreté. La dalle forme ce qu’il convient d’appeler les parties communes de l’îlot 27. Elle sépare la rue et les espaces de vie et de travail et les services. Les visiteurs se mêlent aux habitants et aux usagers dans un climat de grande bienveillance et de respect. Ce qui pourrait être vécu comme une intrusion dans un espace privé est perçu comme une marque d’intérêt et d’attention. Je me souviens de ce jeune homme qui débout devant une fresque de Louys consultait son téléphone portable et qui, voyant qu’il était dans le champ de ma photographie, avec un sourire, s’est déplacé de quelques mètres. D’une manière générale, les résidents acceptent d’être photographiés par les visiteurs qui veulent garder une image de l’activité des habitants ou plus prosaïquement donner l’échelle d’une œuvre.

Sur le vaste espace que forme la dalle, la propreté contraste avec la saleté de la rue qui longe l’îlot. Pas un encombrant abandonné, pas d’ordures ménagères négligemment jetées, pas de cannettes de bière ou de bouteilles de vodka en déshérence, pas d’emballages balancés sur les pelouses ! De plus et cela est symptomatique, je n’ai observé aucun signe de vandalisme des œuvres ! Aucun « toyage » !

Mes visites au MACO du 27 Pantin ont renforcé plusieurs de mes convictions. Le respect d’un lieu passe par la concertation en amont de ses acteurs et de leur association à l’élaboration, à la mise en œuvre et à la régulation du projet. Les habitants des logements sociaux de l’îlot 27 ne sont pas socialement différents des habitants des autres grands programmes sociaux du département. Non seulement ils respectent les lieux et les font respecter mais ils en sont les gardiens. Les gardiens d’un trésor déposé aux pieds de leurs tours. Ils veillent sur leurs œuvres d’art et les productions artistiques de leurs enfants. Tous reconnaissent et apprécient la beauté des œuvres et tous comprennent qu’ils en sont collectivement les destinataires et les propriétaires. Les habitants sont les chevilles-ouvrières et les acteurs d’une cogestion de leur espace de vie. Une expérience fort instructive de démocratie participative.

Les réflexions à tirer de ces observations sont multiples et d’ordres différents. Bien sûr, on saisit l’intérêt du projet au regard de l’urbanisation et du vivre ensemble. Je laisse bien volontiers cette réflexion aux architectes voire aux sociologues. Je m’en tiens, prudemment, à une réflexion sur le street art et le social.

Si les habitants du 27 Pantin respectent et sont fiers des fresques peintes par les street artistes c’est qu’ils reconnaissent la qualité du travail de l’artiste et la beauté de leurs créations. Cette beauté quelle que soit la culture du « regardeur » s’impose comme une évidence. Nul besoin de la souligner par un commentaire ou par un cartel pour dire la beauté d’une œuvre. La beauté est « reconnue » par le regardeur et cela n’a que peu à voir avec sa culture. C’est une affaire d’émotions. De sensibilité. Et les hommes et les femmes des milieux populaires n’en sont pas dénués.

Dans les faits, le 27 Pantin est une remarquable expérience sociale et artistique. L’expérience d’un quartier populaire structuré autour d’un musée à ciel ouvert dédié au street art. Une intégration réussie de l’art urbain dans la cité. Des œuvres en partage offertes qui rassemblent et qui aident à faire société.


BKfoxx : Derrière le miroir.

La relation qui s’établit entre le « regardeur » et l’œuvre est le fruit du hasard. J’aime cette idée que des œuvres, des fresques, des murals, m’attendent quelque part, sur un mur, dans Paris, la grande ville. C’est le hasard qui m’a fait rencontrer une superbe fresque de BKfoxx représentant deux enfants séparés par un mur. Elle a été peinte récemment, en janvier 2023 me semble-t-il, rue de l’Ourcq, dans mon quartier, qui est un de ces nombreux village de Paris.

La fresque est de grandes dimensions. Elle est haute comme le mur[1] de la Petite Ceinture [2], deux mètres cinquante environ, et elle est longue de plus de 20 mètres. Elle représente deux jeunes enfants, une fille et un garçon. La petite fille est représentée en train de pousser un épais mur de béton la séparant d’un petit garçon. Sur la largeur du mur peint, BKfoxx a peint une courte phrase dite sensée être par la très jeune fille : « Comment je peux te faire bouger ? ».

La facture de la fresque est réaliste. Les dégradés de gris concourent à donner à l’œuvre l’aspect d’une photographie ancienne. La facture contraste avec la composition de la fresque. En effet, la petite fille est située dans une pièce séparée d’une autre pièce par un puissant mur de béton. Les deux enfants sont dans deux lieux différents et les efforts de la petite fille pour « faire bouger » son camarade sont naturellement voués à l’échec. La scène peinte n’est pas une situation de la vie quotidienne mais elle est à classer dans les allégories. Le réalisme de l’exécution paradoxalement renvoie à une œuvre symbolique.


[1] La ligne de Petite Ceinture de Paris, communément désignée sous le nom de « Petite Ceinture », est une ligne de chemin de fer à double voie de 32 kilomètres de longueur encerclant Paris à l’intérieur des boulevards des Maréchaux. Wikipédia.

 

Reste, et ce n’est pas assurément le plus simple, à en saisir le sens. Force est de constater qu’une lecture « littérale », au premier degré, est peu satisfaisante. Le regardeur qui ne peut voir sans construire une signification, doit nécessairement poser quelques conditions préalables pour que l’œuvre prenne sens, au singulier, voire plusieurs sens en fonction des hypothèses de départ. Posons que la petite fille représente les femmes et le petit garçon, les hommes. « Faire bouger » les hommes pourrait alors être le constat amer des femmes incapables de faire évoluer les représentations des hommes sur leur condition. Il est vrai que l’artiste, BKfoxx est une jeune américaine de New-York qui dans d’autres œuvres affirme sa force et son tempérament (je pense en particulier à une fresque légendée « leaving is the easy way out[1] »)


[1] « Partir est la solution de facilité »

La fresque peut être comprise comme une œuvre féministe marquant à la fois la farouche volonté des femmes de se battre pour faire reconnaître leurs droits et les obstacles insurmontables qu’elles doivent affronter de la part des hommes. Une œuvre sociale et pessimiste « cachée » derrière une saynète de jeux d’enfants.

Je me limiterai à cette interprétation, n’ignorant pas que la polysémie de la fresque ouvre un champ immense de possibles.

Une œuvre réaliste mais allégorique, un sens dissimulé sous la peinture d’un jeu d’enfants, somme toute banal, à croire que BK (les initiales de l’artiste) est un fox(x), un renard, l’animal fétiche de l’artiste. Un renard rusé (comme tous les renards) qui se joue des apparences en cachant un discours intime sur sa vie et son rapport au monde.

J’en veux pour preuve, les nombreuses œuvres que l’artiste a consacrées à l’enfance. Derrière l’ordinaire des sujets se cachent des peurs, des angoisses, des souffrances. Une de clés de lecture me semble être l’intérêt qu’a porté l’artiste à Alice, l’héroïne des « Aventures d’Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll. Le conte fameux a été suivi par un autre conte : « De l’autre côté du miroir ».

BKfoxx nous montre un côté du miroir. Au regardeur de « voir » ce qui est caché et discrètement montré. Une œuvre d’une grande maîtrise technique qui nous invite à partager plus que des images, des émotions et des combats. Du grand art.