Les articles de presse consacrés aux œuvres de street art emploient à satiété l’expression « un musée en plein air » pour qualifier un endroit dans lequel les fresques sont nombreuses.
Je ne jette évidemment pas la pierre, la première, à mes confrères et consœurs. J’ai pour ma part également cédé à cette facilité de langage.
Mais si les mots ont un sens, il fait bien convenir qu’un spot de street art n’est pas un musée. Il en est, d’un certain point de vue, le contraire.



Un musée a pour vocation de conserver les œuvres. D’ailleurs, la principale mission d’un conservateur de musée est la conservation des œuvres (contrôle du taux d’humidité et de température des lieux d’exposition, planification des campagnes de restauration etc.) Stricto sensu, les « murs » d’un quartier ne constituent pas un musée.
Quoique certaines œuvres appartiennent aujourd’hui au patrimoine d’une ville et que ces œuvres sont l’objet d’une protection et d’un entretien. Quoique le concept même de street art ne cesse d’évoluer et que d’aucuns lui préfèrent le terme générique d’ « art urbain contemporain », intégrant de cette manière les œuvres « nomades », c’est-à-dire les œuvres peintes sur des supports autres que des murs, des supports déplaçables.
Si la Ville n’est pas un musée (et c’est tant mieux !), elle offre aux artistes de street art un milieu d’une infinie richesse.




Sur les murs, les artistes expriment leurs imaginaires, leurs désirs, leurs peurs, leurs frustrations et l’idée qu’ils ont de la beauté. Les murs sont des supports polyvalents qui portent autant de messages, urbi et orbi.
Depuis quelques semaines, j’ai centré mon attention sur de petites œuvres qui ont, au-delà de leurs différences, un point commun, elles détournent des éléments du bâti urbain.
Ce sont des œuvres « modestes ». Modestes par leurs tailles et leurs objectifs. Quelques coups de pinceau, un coup de bombe aérosol sur un pochoir suffisent souvent à créer une autre réalité. Cela a à voir avec la « récupération » et le bricolage.




Ce qui m’intéresse dans le process de création est le passage du banal à la création. Alors que le commun des mortels ne voit rien dans le banal qui suscite son intérêt, l’artiste anticipe la transmutation du banal pour faire rire ou sourire le chaland, pour créer une scène onirique et poétique. Le « regardeur » saisit les deux dimensions de l’œuvre détournée : les éléments urbains qui sont à sa genèse et, en même temps, une autre réalité créée par l’artiste. C’est, à mon sens, la synthèse de ces deux regards qui crée l’émotion.
Ces œuvres détournées ne sont pas des spécimens d’un « art pauvre » mais des exemples d’un art modeste. Un art fondé sur une vision poétique de la Ville, l’étonnement et l’humour. Je vois dans le fait qu’elles ne sont pas signées, c’est-à-dire, pas identifiées à un artiste, un signe. Difficile à leur propos de parler d’œuvre, qui plus est de chef d’œuvre ! Modestes certes, elles témoignent de l’invention de leurs créateurs qui a la pudeur de s’effacer devant elles.



