Ben Alpha, un talent monstre

Depuis plusieurs mois, je recense les œuvres de street art qui déclinent les figures de la peur.
Tout bien considéré, elles sont peu nombreuses. Les thèmes sont récurrents : les skulls et les attributs de la mort, les animaux sauvages tels les fauves et les grands singes, les méchants sanguinaires et cruels des blockbusters étatsuniens. Il ne faut guère être grand clerc pour trouver le point commun entre l’ensemble de ces figures : la mort et son cortège funèbre de souffrances et d’horreur.

Les fresques d’un artiste ont attiré mon attention car, par plusieurs aspects, elles échappaient à ma modeste entreprise de catégorisation des figures de la peur.
Certes, plusieurs fresques représentaient des méchants et des scènes d’horreur désormais classiques mais d’autres représentaient des « monstres ». J’emploie le mot « monstre » faute de mieux ! Ce sont des représentations de créatures en l’espèce dont l’apparence surprend par son écart avec les normes d’une société. Elles ont une fonction : inspirer la peur voire le dégoût. Ces œuvres, souvent de grandes dimensions, étaient signées Ben Alpha. J’ai derechef compilé plusieurs dizaines de photographies et pris l’attache de Ben Alpha pour en savoir davantage sur son sujet de prédilection, au demeurant peu banal.

Mes interrogations ont principalement porté sur deux questions : quelle était la perception par l’artiste des réactions des « regardeurs » au vu de ses fresques, comprendre la genèse de ces monstres.

Ben Alpha notent la variété des réactions des spectateurs. Une majorité admire la technique et les dimensions des fresques, d’autres « trouvent ça simplement beau », d’autres enfin « éprouvent de la peur ou de l’incompréhension ».
Les monstres peints par Ben Alpha sont des « créatures » au sens propre « épouvantables ».

Des traits les apparentent aux Hommes, une tête, des membres etc. mais de nombreux autres traits les relient aux cadavres. Ce sont donc des êtres hybrides comme surgis des enfers qui semblent agresser le « regardeur ». Le regard des monstres entre en relation avec le regard de l’observateur. Intuitivement, le « regardeur » est la proie d’un monstre qui est sur le point de le tuer pour le manger. D’où l’importance donnée par l’artiste, aux mâchoires, aux gueules ouvertes, aux dents, au sang, à la bave, etc.
Dans un précédent billet consacré aux figures de la peur, j’ai montré que les représentations de la peur réveillent dans notre subconscient des angoisses  profondément occultées, la peur de la dévoration.

Les monstres de Ben Alpha sont des figures de l’imaginaire qui illustrent une forme particulière d’esthétique que l’artiste qualifie d’« épique ». Il convient de donner à ce mot la signification qu’il a pris dans la littérature et les films tirées des œuvres de H. P. Lovecraft, Steven Spielberg, John Carpenter, John Hughes ou Stephen King.
Sans nul doute, la recherche de Ben Alpha est aussi une quête d’une forme de beauté plastique.
Les monstres de Ben Alpha ont une source principale d’inspiration, la série américaine Stranger Things. C’est une série de science-fiction horrifique créée par Matt et Ross Duffer et diffusée depuis le 15 juillet 2016 sur Netflix. Source principale mais non exclusive, l’artiste crée ses propres images, images qui s’inscrivent dans le même univers que celui Stranger Things.

La littérature fantastique américaine, ses adaptations pour le cinéma et la télévision ont créé des figures modernes de la peur et de l’horreur. Nous pouvons voir dans ce processus l’influence grandissante de la culture américaine véhiculée par des médias américains.
Il n’en demeure pas moins que Ben Alpha s’est approprié cette culture plastique et ses images dominantes et nous donne à voir des œuvres ambitieuses de grande qualité.

Merci à Ben Alpha pour l’entretien et la qualité de ses réponses. Merci également pour m’autoriser à reproduire les images de ses œuvres.