L’écrivain David Dufresne, auteur de l’enquête Maintien de l’ordre (Fayard, 2013) a recensé depuis le début de la Crise des Gilets jaunes près de 500 cas de violences policières dont 202 blessures à la tête et 21 éborgnés. Dans ces conditions, affirmer que les Gilets jaunes sont victimes d’une répression policière est un truisme, voire une évidence.
Pourtant, interpellé lors du Grand débat national en PACA, Emmanuel Macron a déclaré très en colère : « Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit ». Cette petite phrase mérite quelques commentaires. Le président Macron, à n’en pas douter, connaît les « dommages collatéraux » des interventions des Forces de l’ordre placées sous la responsabilité de son ministre de l’Intérieur, alors pourquoi déclare-t-il d’une façon aussi véhémente que publique que violences et répression policières n’existent pas ?
Allons pas à pas car tous les mots ont dans cette affaire de l’importance. Tout d’abord, M. Macron se garde bien de dire qu’il n’y a pas de répression et de violences commises par les gendarmes et la police. Comment le pourrait-il alors que tous les samedis depuis 4 mois, les médias télévisés nous montrent des images de cette répression ? Si tous les citoyens sont témoins des exactions de certains manifestants, ils sont également témoins de la répression qui déborde largement le petit cercle de ceux qui sont qualifiés de « casseurs ». Il dit que les mots « répression » et l’expression « violence policière » sont inacceptables dans un Etat de droit. C’est donc une affaire de « mots » ! Le président refuse de nommer les choses par leur nom et nous pouvons comprendre pourquoi. Dans un Etat fondé sur le droit, la répression policière est illégale. La loi, en effet, réglemente l’usage par l’Etat de la Force publique et une police républicaine ne peut, à proprement parler, « réprimer ». Elle « maintient l’ordre ».
On pinaille, on joue sur les mots, sur les nerfs. Monsieur fait son savant, celui qui connaît la constitution sur le bout des doigts. Le président donne une leçon de droit constitutionnel aux ignares que nous sommes !
Outre cette saillie présidentielle, la répression tourne au déni. Déni non des faits mais déni des mots.
Ainsi, la Crise des Gilets jaunes est-elle devenue une guerre des mots et une guerre des images.

Pourquoi une guerre des mots ? Toujours pour les mêmes raisons. Parce que nommer les choses, c’est les faire exister. Les événements d’Algérie ont caché la réalité d’une guerre coloniale. Les forces de l’ordre et l’armée ont maintenu l’ordre avant de faire, plus tard, la guerre. L’exécutif peine à nommer la crise des Gilets jaunes ; manifestations, émeutes, insurrections. C’est selon les circonstances ; les « manifestations » ne peuvent être que « bon enfant ». Quand elles ne le sont pas ce sont des émeutes. Le glissement sémantique légitime alors le recours à la force.

Les services de la communication du ministère de l’Intérieur et de l’Elysée sont à la peine. Trouver les mots pour cacher la vérité. Surtout ne pas dire que ces samedis sont des journées révolutionnaires, que c’est la politique du président de la République qui est refusée bien davantage que la Constitution de la Ve République etc. Circonscrire l’incendie du Palais d’Hiver, renommer les faits, raconter un récit alternatif.

Guerre des mots, guerres des images. Partout, dans tous les médias, tout le temps ! Les artistes de la rue ont donné naissance ces derniers mois à des images pour monter la répression policière. Sans avoir nulle prétention à l’exhaustivité, je prendrais quelques exemples pour essayer de comprendre quelles images ils nous proposent.

Les artistes, tout d’abord, ont montré les Forces de l’ordre. Le distinguo n’est pas fait entre police, CRS, gendarmerie, bac, etc. Là n’est pas l’important. Elles sont présentées constituées de guerriers sans visages, revêtus d’armures, armés d’armes redoutables, noires. Par opposition, les manifestants sont inférieurs en nombre, pas armés, le visage protégé et/ou caché par un simple foulard. De fait, les combats n’existent pas. Des David battus, humiliés, vaincus, sont dominés par des Goliath sans pitié. La Force écrase le Droit. Le fort, le faible. L’Etat, le citoyen. C’est l’exact contraire du duel qui est l’affrontement de deux duellistes de même force, luttant avec les mêmes armes. Autant le duel était-il inscrit dans un code d’honneur, autant l’écrasement par la Force est-il le symbole du déshonneur pour le vainqueur.

Les armes non seulement sont représentées mais sont devenues des sujets : les grenades de désencerclement et les lanceurs de balles de défense. La représentation des armes est symptomatique de leur importance dans les




