Urbi et orbi.

Je ne voudrais pas me vanter, vous connaissez cher lecteur ma légendaire modestie, mais je suis content. Voire, à la limite, heureux. Heureux que Petite Poissone dont j’avais dit dans mon dernier billet tout le bien que j’en pensais, heureux que cette artiste ait « fait le M.U.R. » Oberkampf, le samedi 21 août et le dimanche 22. Une participation qui vaut reconnaissance. Reconnaissance de son évident talent et une entrée remarquée de la poésie dans la grande famille du street art.

Une invitation qui fait sens. L’écrit peint sur un mur avec des outils aussi divers que variés (pochoir, bombe aérosol, pinceau etc.) a droit de cité en tant que projet artistique et plastique. Encore plus fort, la poésie qu’on pensait reléguée dans les manuels scolaires poussiéreux s’impose avec force sur les murs de nos villes et séduit un nouveau public. Encore plus fort, l’enseignement de la poésie, restreint dans une très large mesure aux poètes morts, comme le phénix de la mythologie, retrouve une actualité. Je me souviens que, dans une autre vie, je demandais aux professeurs de lettres de me citer le nom d’un poète français vivant. Leurs réponses m’invitaient à penser que la poésie comme la tragédie classique était un sujet d’enseignement, bien davantage qu’une pratique culturelle vivante. La chanson, le rap, le slam etc. participent de ce revival poétique. Et c’est tant mieux !

Après cette courte digression, revenons à ce qui nous intéresse, les rapports entre l’écriture et la peinture. Les poèmes et les aphorismes peints par de jeunes talents sont des « passages à la limite ». Le street art peut faire l’économie de la représentation. On voit bien que le concept intègre non le medium mais la volonté de la communication. Une communication dont les traces sont urbaines. Qu’en est-il des écrits en lien étroit avec des représentations plastiques ? Il me semble que l’on peut sommairement les classer en deux catégories, les œuvres qui reprennent les codes de la bande-dessinée et celles qui reprennent les codes de l’illustration.

Il n’est guère surprenant que des artistes voulant imbriquer texte et image empruntent une partie des codes de la bande-dessinée. D’abord parce que ces artistes ont eux-mêmes assimilés ces codes depuis belle-lurette. Ensuite parce que la bande-dessinée ou le roman graphique sont des exemples-types d’une synthèse entre écrit et image. Les exemples de personnages dont les paroles sont écrites dans une bulle sont légion. Une façon de mettre des propos, au sens littéral, dans la bouche de personnages de fiction, des doubles de l’artiste, lui permettant à la fois de « dire » ce qu’il a à dire mais en créant une distance avec les propos tenus.

Cette volonté de se démarquer apparait également dans la représentation de personnages soit inventés par l’artiste soit appartenant à la culture dominante qui écrivent sur le mur ce que l’artiste a à dire. Le street artiste écrit dans ce cas de figure également par procuration. Le décalage entre ce que sait le « regardeur » du personnage et ce qu’il écrit sur un mur est une source d’effets comiques assurés !

Faire « parler » un personnage, faire « écrire » un personnage relèvent des mêmes ressorts. Ressorts simples à vrai dire, utilisés à qui-mieux-mieux dans tous les pays.

En fait, le recours à l’illustration dans le street art est le fait le plus singulier à mon sens. Et cela pour plusieurs raisons. L’illustration est un doublon. Elle fournit une représentation graphique de ce qui est figuré par des mots. Elle a une fonction de renforcement et, en ce sens, facilite la compréhension du texte écrit. Ce renforcement est nécessaire quand l’apprenti lecteur n’a pas encore la capacité de produire des images mentales souvent nécessaires à la compréhension de la chose écrite. Facilitatrice, elle est aussi, dans le même temps, une limitation de l’imaginaire du lecteur.

Dans le couple texte/illustration, l’accent a parfois été mis sur l’illustration. L’image produite acquiert un statut d’œuvre d’art. Des livres d’heures médiévaux richement illustrés, aux livres d’art contemporains illustrés par de grands noms de la peinture, on saisit l’importance que revêt l’illustration dans notre culture plastique.

Dans mon précédent article, j’insistais sur la gémellité entre l’écriture et la peinture. Des jumeaux issus d’un même père. Unis dès l’origine, leurs histoires se croisent sans cesse et leurs accouplements sont féconds. Le street art change le support de l’œuvre sans en altérer profondément la nature. Les street artistes d’aujourd’hui ont plein de choses à dire. Alors, ils le disent avec les moyens qui sont les leurs : un mur, des « outils-scripteurs », des mots. Ils disent et ils affichent ce qu’ils pensent. Ils s’adressent à tous. A tous ceux qui prennent le temps de les lire. Ils le proclament au monde et à la Ville, urbi et orbi.

Tout bien considéré, je pense qu’on n’a jamais autant écrit sur les murs. Le sens même de graffiti a changé : les graffitis inscrits dans la pierre des premières communautés chrétiennes dans les catacombes de Rome n’ont que peu de points communs avec le graffiti moderne. Bien sûr, sont écrits sur les murs tout et n’importe quoi, mais il n’en demeure pas moins vrai que les jeunes en particulier ont besoin de communiquer. Foin des correspondances épistolaires remisées dans les placards poussiéreux du passé. Les lettres sont remplacées pour une bonne part par la correspondance électronique. Mails, SMS, réseaux sociaux ; le monde est devenu un village et Internet a fait exploser l’Ancien monde.

Les traces laissées par des individus sur les murs intéressent le sociologue, l’ethnologue ou le philosophe mais il en est tout autrement avec les œuvres composites faites d’écriture et de peinture. Pourtant ces productions qu’il faut bien appeler des œuvres disent aussi tout et n’importe quoi. Dans cet immense bordel, des pépites, des artistes, des poètes, des aphorismes profonds et drôles, des idées dignes d’intérêt, des prises de position qui méritent considération. Au lecteur-regardeur d’y chercher matière à rire, matière à réfléchir.

Les rues et les murs ne sont pas des musées dont la mission essentielle est de « conserver » les œuvres patrimoniales et de créer les conditions de leur diffusion. La règle de l’art urbain est le hasard des rencontres avec les œuvres parce que personne ne choisit les œuvres « exposées » et qu’elles sont définitivement provisoires. Le plaisir du regardeur ne se réduit pas à l’observation de l’œuvre, c’est aussi une quête, une chasse aux trésors, un parcours initiatique, un voyage dans l’espace et le temps. Et chacun sait que le plaisir du voyage, est le voyage et non la destination.