Mystic painting

Un copain d’un ami d’une connaissance m’a récemment contacté pour me demander de recevoir un ami (pas celui-là, l’autre !). Son histoire racontée au téléphone m’a intéressé. Survivant de la guerre civile du Liban, membre de la communauté arménienne, orthodoxe fervent et champion de M.M.A (mixed martial arts) et tombé dans le pot de peinture voilà de cela 9 mois et depuis peignant convulsivement toile après toile, ce jeune homme et sa passion pour la peinture est un chemin de traverse qui apporte un peu de variété aux thèmes que j’aborde habituellement dans mes billets.

Venons-en à l’essentiel de notre rencontre. Les premiers mots de Sevak ont été pour me faire remarquer une série de correspondances. Correspondance entre la date et l’anniversaire de son fils, correspondance entre le numéro de la ligne de métro qu’il venait d’emprunter et un autre événement familial et d’autres correspondances qui relevaient de la numérologie. Sevak voyait dans ces relations un signe favorable du destin. N’ayant en matière d’occultisme et autres croyances que de superficielles connaissances, je me gardai bien de le contredire.

Après avoir vu des photographies de quelques-unes de ses toiles, j’avais décidé d’axer notre entretien sur une approche religieuse. Sevak évoqua la religion de sa famille, la religion orthodoxe. Il me parla des images qui marquèrent sa prime enfance jusqu’à aujourd’hui. L’admiration des fidèles pour les panneaux peints des églises, la vénération des icônes. Il était aisé de comprendre à la fois l’importance des images dans l’imaginaire de Sevak et leur portée mystique.

Sa relation à la peinture éclaire le rôle qu’elle joue dans sa vie. Il m’a raconté que lors du premier anniversaire de la mort de sa mère, il a eu l’impérieux besoin de peindre. C’était en automne et son projet était de représenter des arbres aux feuilles jaunes, mordorées, rouges. Bien davantage une évocation de la lumière que d’une peinture de paysage. Plus qu’un ex-voto, c’était un cadeau d’anniversaire. De son point de vue, c’est sa mère qui a guidé sa main et l’œuvre est un moment de correspondance entre l’esprit de sa mère défunte et le sien.

Ce moment qu’il a vécu avec exaltation reste 9 mois plus tard son viatique pour son projet d’expression artistique.

Ses autres toiles ont une histoire semblable. Il a avec insistance dit et redit qu’avant de peindre il n’avait « dans la tête » pas d’images. En quelque sorte, il ne reproduit pas une image mentale préexistante à l’œuvre. Ce sont des mots qu’il a à l’esprit quand il peint. Une suite de mots, une courte phrase, comme un vers libre. Il affirme et je n’ai guère de raison d’en douter que c’est une fois la toile terminée qu’il saisit sa signification. Car, pour Sevak, toutes ses toiles ont un sens. Un sens révélé par la peinture.

 En quelque sorte, la peinture, en tant que matière, est le médium qui lui fait découvrir un message caché. C’est la raison qui l’amène à rejeter les aspects techniques de la peinture : pas de croquis donc, pas de composition, pas d’aplats de couleurs, pas de recherche d’une harmonie chromatique. Il avoue par ailleurs que l’accès au message reste, pour les autres et pour lui-même, un mystère.

La douleur des deuils familiaux, la souffrance du déracinement et de l’exil, le mysticisme attaché à sa pratique religieuse, son rapport à la pensée magique expliquent pour une large part sa relation à la création.

Sans le théoriser, Sevak réactualise le mythe hugolien de l’artiste médiateur entre les Hommes et la divinité. L’art est un signe envoyé par un dieu présent de toute éternité, un signe qui manifeste son existence et sa volonté.

Merci à Sevak Mouradikian de m’avoir ouvert avec autant de sincérité à une dimension de l’art qui m’est inconnue.


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