Il n’est guère besoin d’une longue et fastidieuse étude statistique pour constater que le portrait domine le street art. Il suffit pour s’en convaincre de « scroller » les réseaux sociaux tels Instagram ou Facebook pour en faire le constat.
Si nous regardons d’un peu près ces portraits, nous constatons que les œuvres sont le plus souvent centrées sur la représentation des visages. J’entends par là, non pas qu’elle est au centre de la composition, mais le soin qu’apportent les artistes à sa représentation signe l’importance que ceux-ci accordent au visage par rapport au reste du corps.
J’y vois plusieurs raisons. La représentation du visage confère une identité au personnage. Une identité que j’appellerai « mimétique » dans la mesure où l’artiste a le projet de copier les traits d’un sujet dans le but explicite d’établir une correspondance entre l’œuvre et le modèle. Une identité « générique » quand le projet artistique est de figurer un visage ayant valeur de symbole. En plus de cette double identité, le visage fonctionne comme un révélateur des émotions.
Ce sont les traits du visage, bien davantage que le reste du corps, qui « traduisent » les émotions du sujet représenté par une savante combinaison de la forme des traits. Des émotions comme la colère, le dégoût, le mépris, la joie, la peur, sont figurées par des combinaisons à peu près semblables dans des cultures pourtant fort différentes.
La quasi universalité de l’expression par le visage des émotions, doublée du fait que la représentation d’une émotion génère chez le regardeur la même émotion, expliquent dans une large mesure l’importance accordée à la représentation des visages dans le street art et dans la peinture figurative plus généralement.
Pour certains artistes, il est vrai moins nombreux, la peinture du visage va au-delà de la création d’une émotion. Ils l’intègrent à des saynètes dont la signification est plus complexe.
Dans mon précédent billet, j’ai développé l’idée que les scènes montrant qu’un visage cache le crâne d’un mort étaient des versions modernes des vanités. D’autres œuvres montrent qu’un visage cache un autre visage plus effrayant. Quelle en est la signification ? C’est l’objet de cet article.




Décrivons plus précisément ces œuvres. La version la plus commune est celle d’un personnage qui ôte le masque que porte un autre personnage. Sous le masque apparait un autre visage. Cette version a des variantes. Le masque ôté peut cacher un autre masque qui cache un autre masque etc. Dans tous les cas le masque est un substitut symbolique du visage. Une autre variante remplace le masque par un « vrai » visage qui est ôté et révèle les traits d’un autre visage ou laisse deviner les traits d’un être fantastique démoniaque.




Le point commun entre toutes les variantes est la révélation de la vraie nature d’un personnage. Une illustration de la tromperie des apparences. Un thème vieux comme le monde développé aussi bien dans la littérature que dans la peinture. Un sujet emprunté à toutes les mythologies. Pour mémoire, on se souvient des métamorphoses des dieux grecs qui changeaient d’apparence pour satisfaire leurs désirs. On se souvient aussi de l’histoire du Petit Chaperon Rouge, un conte de la tradition orale française, connue grâce aux versions de Charles Perrault et des frères Grimm en Allemagne. Les exemples abondent et je me garderai bien d’en faire l’inventaire.
Remarquons au passage qu’un même sujet, la révélation de la nature cachée d’un personnage, a donné lieu à des mises en récit fort diverses, du fantastique à l’édification morale.

Que cachent toutes ces variantes thématiques ? A mon sens, une peur ancestrale : la peur de la dualité de l’autre.
Notre connaissance de l’autre est fondée sur la reconnaissance des traits de son visage. Ces traits forment un masque qui est l’apparence du visage de l’autre. La peur réside dans l’idée que l’autre que nous connaissons cache un autre que nous redoutons. Une peur ancestrale enracinée dans notre inconscient. Une peur que seule la confiance en l’autre annihile. Gardons au mot confiance sa signification étymologique. Le mot vient du latin confidere (de cum « avec » et de fidere « fier »). Il signifie qu’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un et se fiant à lui, en s’abandonnant de cette manière à sa bienveillance et à sa bonne foi.
Feue ma grand’mère disait d’une personne de confiance qu’on lui donnerait le bon dieu sans confession. Et si l’apparence cachait Satan tapi dans l’ombre du double !

