Les petits pochoirs, bouteilles à la mer

Il y a belle lurette sinon davantage que je me passionne pour les pochoirs. Tous les pochoirs, les œuvres monumentales de plusieurs centaines de mètres carrés, quasi patrimoniales, et les « petits pochoirs ». [1]

Pour de fort subjectives raisons. Tout d’abord et surtout, parce que ces pochoirs sont autant de signes qui témoignent de la volonté explicite de communiquer par le dessin un sentiment, voire un ressentiment, une revendication, une colère, un trait d’humour, un point de vue, une once de poésie. Ce sont des échos de la vie qui va, des joies et des peines, de nos peurs et de nos espoirs, comme le cœur battant de nos sociétés.


[1] « Petits », en termes de dimensions.

Pour fabriquer un petit pochoir, il n’est nul besoin d’être un « artiste ». Une feuille de papier fort ou de carton, une vieille radioscopie qui traîne dans le tiroir d’un secrétaire, un cutter, une ou deux bombes aérosols et le tour est joué ! Reste à projeter l’image ou à la dessiner sur le support, identifier les « lacunes », découper avec soin, et le tour est joué ! Un stencil par couleur. Du ruban adhésif pour fixer le stencil sur le mur. Une variante pratique, bomber le pochoir sur une feuille de papier.

En somme, l’art à la portée de tout un chacun ! Un moyen d’expression artistique réellement démocratique.

Dans ce domaine, comme dans d’autres, il y a des maîtres et des « apprentis », des artistes en devenir. Les « maîtres » réalisent de petits chefs d’œuvre et ne rechignent pas à peindre dans la rue, gratos. C’est cadeau ! Quelques noms me reviennent en mémoire : C215, Nô, Valé, Guaté Mao, Brusk etc.

Bien évidemment les œuvres des artistes dûment patentés m’intéressent mais la démarche des « amateurs » mérite qu’on s’y attarde.

Les « amateurs » sont le plus souvent des jeunes gens qui créent des images pour établir un lien avec les « regardeurs ». Bien sûr, des centaines de badauds passeront devant leurs pochoirs sans les voir. Tant pis pour eux ! D’autres, et c’est mon cas, s’y attarderont. La variété des œuvres et des sujets est surprenante. Elles sont souvent poétiques et drôles et nous arrachent un sourire. D’un charme un peu désuet, comme les photos d’un calendrier des postes. Elles sont parfois plus graves et abordent des thèmes d’une grande actualité comme le conflit israélo-palestinien, les revendications féministes, les conflits sociaux, le combat pour l’écologie.

Bref, les petits pochoirs ont des objectifs souvent modestes, aussi modestes que l’œuvre en elle-même, comme embellir les rues de nos villes, de surprendre les chalands, de les amuser.

Parfois, ils sont plus injonctifs et nous invitent à grossir les rangs des « combattants ». Les petits pochoirs témoignent des luttes et entendent jouer un rôle actif dans celles-ci. Ce sont, dans ce cas de figure, les armes d’un combat politique et idéologique.

Les « petits pochoirs », comme le street art, quand il est dans la rue, sont des marqueurs du degré de liberté des citoyens d’une démocratie. Dans les régimes autoritaires, les œuvres de street art soit se cachent, soit sont des commandes validées par le Pouvoir.

L’art, et en particulier, le street art, est éminemment politique. C’est non seulement une partie émergée des grands débats, un révélateur des mouvements de fond qui traversent nos sociétés, mais c’est également un acteur du débat.