Les figures de la peur dans le street art occidental sont pléthore. Dans les articles précédents, j’ai abordé plusieurs de ces figures : les figures représentant explicitement la mort (skulls, cadavres en voie de décomposition, squelettes) et tout un embrouillamini de symboles renvoyant à la Grande faucheuse (potences, gibets, instruments de torture, cimetières, corbeaux, sabliers etc.), les figures peu ou prou religieuses (Satan, les flammes de la damnation éternelle et ses tourments, les anges déchus etc.), les animaux inspirant la terreur (par la dévoration, le poison etc.), les icônes du cinéma d’horreur tel le Joker.
Reste une figure que je souhaite aborder dans cette chronique : les monstres.



Je me garderais bien de faire une analyse de l’étymologie de ce mot. Elle est certes intéressante mais n’éclaire en rien l’examen des représentations des monstres dans le street art. Pour faire simple, en guise de définition, les monstres créés par les street artistes sont des représentations de créatures imaginaires dans le but est de provoquer chez le regardeur l’effroi. Tout l’intérêt de l’enquête est d’examiner ces représentations afin de mettre en évidence les ressorts de leur création.


La production de ces images d’épouvante est une vaste entreprise de recyclage. Sont ainsi recyclés tels quels les monstres devenus des icônes du cinéma d’horreur. On y retrouve pêle-mêle le Nosferatu du film de Friedrich Wilhelm Murnau et sa nombreuse descendance, le monstre du docteur Frankenstein et ses variantes, Freddy Krueger, les poupées meurtrières et les clowns qui ne font pas rire. Il est facile de constater la quasi hégémonie des figures d’horreur sont issues des blockbusters américains. Signe évident de l’influence de la culture étatsunienne et de la mondialisation.
Ces « emprunts » sont complétés par les reproductions des « monstres » de la bande dessinée. Les « méchants » de DC Comics, de Marvel, des mangas japonais, de la littérature fantasy enrichissent la galerie des monstres de cinéma.
Faute de copier des monstres déjà existants, les street artistes en créent d’autres.



Ce sont, dirais-je, des monstres de synthèse. Des chimères qui combinent des traits d’autres monstres. Des êtres réduits à leur image, n’ayant pas d’histoire. Leur création suit une relative logique. L’artiste « récupèrent » dans un incommensurable fonds d’images une forme connue du regardeur. Cela peut être un animal féroce dont la taille a été volontairement exagérée ou une figure d’horreur bien connue des regardeurs. L’artiste imagine une variante par rapport au modèle et met l’accent sur quelques traits : les dents deviennent redoutables, le sang baigne la scène, la couleur des yeux distingue la créature de l’humanité ou de l’animalité, des traits sont directement issus des représentations des dragons et des serpents, toute la symbolique de la mort est convoquée. L’artiste revendique son originalité en ménageant un écart par rapport aux modèles occultés.


En forme de conclusion provisoire (toutes les conclusions sont toujours provisoires), il faut bien reconnaître que les images créées par les street artistes ne brillent pas par leur originalité. Les emprunts sont légion ; ils véhiculent les icônes d’une culture mondialisée. Qui plus est, nous retrouvons dans leurs œuvres les images de la peur qui ont accompagné l’histoire des Hommes depuis les peintures rupestres jusqu’à aujourd’hui.
Les regardeurs sont de nos jours mithridatisés aux images désormais traditionnelle de l’horreur. Garçons et filles sont baignés bien avant l’adolescence via les smartphones, tablettes et ordinateurs dans une culture des images valorisant l’excès, la violence et le spectacle de l’épouvante. Ils ne craignent plus le loup-garou ou le croquemitaine.
L’horreur et son cortège d’images est ailleurs. Dans le spectacle des guerres, celle d’Ukraine, celle de Gaza, celle du Soudan et de combien d’autres tout aussi cruelles. Les images de ces conflits sont, au sens littéral, insoutenables. Les images des monstres et autres créatures de l’horreur sont des placebos qui nous aident à supporter l’insupportable sans être dupes du mécanisme mental d’évitement et de compensation.




