Enfants et street art, une utopie

Se connaître soi-même est une gageure, voire chose impossible. A fortiori, connaître l’autre ! Pourtant il serait passionnant et instructif de mieux comprendre nos enfants, leurs rêves, leurs désirs, leurs imaginaires, le monde qu’ils souhaitent construire.

Ce n’est pas l’observation des œuvres des street artistes qui sera un sésame pour mieux connaître nos enfants. Hélas ! Par contre, l’observation des œuvres d’art urbain nous révèle ce que les artistes pensent des enfants ! Cela ne dit rien des enfants certes, mais ça dit beaucoup des adultes ! Les artistes en les peignant leur font jouer des rôles et ce sont précisément ces rôles qui sont les sujets de notre chronique.

Pour se livrer à cet exercice, il est bon d’avoir une méthode. Je centrerai mon attention non sur les portraits (souvent remarquables, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse pour l’heure), mais davantage sur les compositions mettant en scène la représentation d’un enfant inscrite dans un décor. De l’analyse des liens entre la figure de l’enfant et les éléments du décor, il est plus aisé de cerner l’intention de l’artiste. Dit autrement, d’une manière plus savante peut-être, premier plan et éléments de décor forment un système de représentations qui fait sens.

Autre point de méthode, j’exclus les types de représentations les plus rares, privilégiant celles ayant la plus forte occurrence.

Ceci dit en préambule, que montrent les œuvres ?

Tout d’abord, le sujet est, hélas, d’actualité, les enfants condamnent la guerre. Tous interpellent le chaland, c’est-à-dire l’opinion publique, pour que cessent les massacres. Ils demandent la fin des combats et le retour de la paix. Le message qui s’adresse à l’émotion, au cœur des badauds, se présente comme un message d’essence humaniste. La réalité est quelque peu plus complexe. Notre histoire récente montre, s’il en est besoin, que les mouvements pacifistes avaient des finalités politiques. Aujourd’hui, réclamer un cessez-le-feu en Ukraine, à Gaza, au Liban, où ailleurs dans le monde, est une décision politique au premier chef.

Le message de paix incarné par des enfants trouve dans nos valeurs traditionnelles un écho. Nous sommes davantage sensibles aux morts « collatérales », à celles des femmes et des enfants. Parce que ce ne sont pas des combattants, des soldats. En quelque sorte, ce sont des « innocents ». Le terme interroge.

Comme si la mort des hommes et celle des combattants étaient « légitimes », acceptables, normales. Les milliers de tonnes de bombes qui s’abattent sur les populations civiles ne font pas le tri. Les victimes, toutes les victimes, sont « innocentes ».

Le message des street artistes conforte nombre d’idées considérées comme allant de soi reprises par la propagande des belligérants. Un exemple, parmi tant d’autres, de la pensée dominante.

Dans le droit fil d’un discours « humaniste » sur la guerre, innombrables sont les fresques qui prônent la solidarité entre les enfants, le refus des différences. Les scènes les plus représentées actuellement montrent l’amitié entre un enfant israélien et un enfant palestinien et celle entre enfants blancs et enfants noirs.  Là aussi le message joue sur la corde sensible des sentiments et une forme d’unanimisme. La très célèbre injonction de Jean dans son évangile, « Aimez-vous les uns les autres » fait figure d’une vérité d’évidence. Une « vérité » révélée qu’on ne questionne pas. Fort de ma liberté, je me réserve le droit d’aimer qui je veux et, inversement, à ne pas aimer qui je veux.

Ma dernière observation porte sur le rapport qui est fait par les street artistes entre les enfants et la nature. Innombrables sont les œuvres qui représentent des enfants entourés par des éléments qui relèvent de la nature : oiseaux aux mille couleurs, plantes luxuriantes, paysages bucoliques baignés de soleil. A y regarder de plus près, le message est (un peu) plus complexe.

Les enfants s’adressent aux adultes et les invitent à préserver la nature. En d’autres termes, là aussi plus politiques, les enfants sont les plus ardents défenseurs des écosystèmes. Ce sont les porte-parole de l’écologie. Non pas d’une écologie politique qui s’empare de l’ensemble des problématiques sociétales, mais d’une écologie orientée vers la préservation des espèces et celle de la biodiversité.

Au risque de te lasser, cher lecteur, chère lectrice, force est une nouvelle fois de constater que les œuvres de cette nature visent à émouvoir le « regardeur » et à s’assurer de son adhésion. Elles prennent le « regardeur » à témoin et l’impliquent dans le sous-texte.
Pour que les enfants, adultes en puissance, puissent bénéficier des bienfaits de la nature, « regardeur » tu as le devoir de respecter la nature. Si tu ne respectes pas la nature, tu condamnes les jeunes enfants à vivre dans un monde « invivable » ! En un mot comme en cent, tu es responsable de leur destin.

En résumé, les street artistes recourent à la figure de l’enfant pour faire passer un certain nombre de messages que nous pourrions qualifier de « politiques » au sens large. Leurs représentations simples et univoques font appel à la sensibilité du « regardeur » et aux affects. Pour résumer ma pensée, je dirais que dans la plupart des œuvres, l’image de l’enfance est instrumentalisée par les artistes.