Un véritable phénomène de mode ! Les murs de nos villes et ceux de nos villages se couvrent de fresques représentant des scènes de la vie d’autrefois. Le mouvement a acquis ces dernières décennies une dimension quasi mondiale.
Cela mérite qu’on s’y arrête pour tenter de comprendre les enjeux de cette déferlante.



Les fresques proposent aux regardeurs un regard sur un passé proche. Un passé encore présent dans nombre de mémoires. Elles représentent des scènes que nous pourrions dater approximativement du début du XXème siècle. Sont représentés les métiers de l’artisanat, de l’agriculture et de la pêche et plus rarement de l’usine. Les compositions montrent les artisans à l’œuvre : les lavandières lavant le linge au lavoir, les pêcheurs réparant leurs filets, le sabotier dans son atelier entouré de ses outils, le tisserand et son métier, l’ébéniste en train de sculpter le bois, le boulanger dans son fournil et les ouvriers et les ouvrières posant devant l’objectif du photographe. Le tableau est complété par des représentations de processions religieuses et de « scènes de genre », la préparation du repas, le ramassage du bois mort, etc.


Sans l’ombre d’un doute ces fresques sont des mises en valeur d’activités qui ont toutes aujourd’hui disparues. Quelle signification donner à ce phénomène décliné sur tous les continents accréditant l’idée « que c’était mieux avant » ?
Pour comprendre le sens de ce type de fresques, il n’est pas inutile de cerner les conditions de production des œuvres.


Le plus souvent ces fresques que d’aucuns qualifient d’artistiques, sont des commandes : commandes des municipalités, des associations locales, des commerçants. Les murs peints sont très étroitement reliés aux lieux de leur production. Ils donnent une vision typique et emblématique du lieu.
Ces murs renvoient au passé des lieux et de ses habitants et contribuent à leur attrait touristique. Sans nul doute, leur réalisation recueille l’adhésion des habitants et renforcent leur identité en l’ancrant dans le passé. Ce sont assurément des objets de fierté.


Si je vois bien l’intérêt pour les habitants de décorer leur ville ou leur village de murs qui sont comme autant de cartes postales anciennes, j’en vois aussi les limites et peut-être les dangers.
Ma première objection porte sur le sous-texte de ces murs peints. Le message est celui d’une valorisation sans nuance et sans contrepoint du passé. Les images créées par les artistes résultent d’un imaginaire du travail qui a bien peu à voir avec la vérité historique. Le récit fait d’images d’Épinal porte un discours au sens littéral réactionnaire. Il contribue et renforce le mythe d’une société certes laborieuse mais une société harmonieuse et heureuse.

Si, j’en conviens, il est bon d’être fier de son quartier, de son village, je n’oublie pas que le culte du passé a toujours et partout servi de terreau aux régimes autoritaire. Les exemples abondent des folklores pervertis afin d’exalter le sentiment national, voire le nationalisme.
L’intérêt des murs peints n’est pas, on l’aura compris, dans l’expression plastique. Le plus souvent l’artiste reproduit des sources anciennes, des photographies, des gravures, etc. Les conditions de la commande lui imposent de les reproduire fidèlement. C’est-à-dire sans pouvoir y imprimer sa marque et exprimer sa sensibilité. Il convient de les regarder avec un œil critique, pour voir ce qu’ils montrent certes mais aussi ce qu’ils occultent, de recontextualiser les œuvres pour en saisir l’intérêt sociologique et politique.
