Frida Kahlo, une icône, un malentendu

Je me souviens de ma première rencontre avec un portrait de Frida Kahlo.

 C’était le lundi 22 février 2016, par une après-midi baignée de soleil. Rue de l’Ourcq, dans le 19ème arrondissement de Paris, Marko93 avait peint un superbe portrait de femme en inaugurant un nouveau style graphique. C’est ainsi que j’ai découvert l’image et l’histoire de l’artiste mexicaine dont les représentations sont aujourd’hui pléthore dans le street art.

Le portrait de Frida Kahlo n’est pas seulement un sujet pour les peintres. Il sert d’inspiration à la création d’un nombre vertigineux d’objets aussi divers que variés. Cela va des poupées à son effigie, des mugs, des bijoux, des vêtements, des collections de grands couturiers, des broderies, des tatouages etc.[1]Bref, le visage de Frida Kahlo est devenu une icône mondiale.


[1] Voir le groupe Facebook Fridalovers

J’avoue que ces milliers de reproductions n’ont guère retenu mon attention. J’ai centré mon regard sur les images créées par les street artistes et celles générées par l’intelligence artificielle.

Les œuvres se ressemblent. Elles sont cadrées de manière à mettre en évidence des traits attachés à Frida Kahlo : le visage d’une jeune femme, des sourcils fournis se rejoignant, une délicate moustache, des cheveux noirs piquetés de fleurs colorées, un décor exotique caractérisé par une végétation luxuriante et des représentations d’animaux aux vives couleurs, des vêtements mexicains typiques.

Rappelons pour mémoire que la « vraie » Frida Kahlo était petite (1,60 m), qu’elle boitait et qu’aucun contemporain n’a vanté sa beauté.

En fait, les œuvres imprimées sur les produits dérivés sont des variations d’un même tableau, l’« autoportrait avec collier d’épines et colibri ».

Or, la signification profonde de cette œuvre remarquable a échappé à bon nombre d’admirateurs et d’amoureux de Frida Kahlo.

En effet, la toile peinte après sa séparation avec Diego Rivera ne peut être lue au premier degré. Il convient d’en saisir la portée symbolique. Le colibri mort représente la chance perdue, le chat noir est un prédateur qui poursuit l’oiseau pour le dévorer, le singe est une figure du diable, le singe qui noue un collier d’épines est une représentation de Diego.

Reste à s’interroger sur le succès de l’image de Frida Kahlo, dont la biographie est douloureuse voire tragique.

Les raisons sont plurielles et de différents ordres.

Écartons la thèse marchande qui n’a qu’un intérêt limité : les images pour séduire le chaland doivent être belles. C’est la raison pour laquelle, même si des traits de Frida Kahlo ont été conservés, la scène évoque une quasi fusion entre l’artiste et la nature. Une harmonie paradisiaque entre un joli visage et la nature symbolisée par les fleurs et les animaux, une alliance de l’âge d’or. Il s’agit là non seulement d’un embellissement de Frida Kahlo mais d’une construction intellectuelle qui reprenant quelques indices jugés pertinents crée une figure emblématique de la Beauté.

Certains seront sensibles à l’exotisme, aux couleurs, à la référence culturelle « arty ». D’autres verront en Frida Kahlo l’exemple d’une femme libre. Une femme libre de choisir ses amants et ses amantes.  D’autres encore une « Vierge des douleurs ». D’autres encore, une figure majeure de l’engagement politique. D’autres enfin, une image forte de la revendication identitaire mexicaine.

Somme toute, le succès de l’image de Frida Kahlo s’explique par la polysémie des lectures, non pas de son œuvre peinte, qui est considérable, 143 tableaux, mais de sa biographie. Faute de pouvoir embrasser la complexité d’une psyché et d’une existence, nombreux sont ses admirateurs qui trouvent dans sa vie mouvementée un fil d’Ariane qui les relie à l’artiste.