Des femmes et des fleurs

La polémique suscitée par le premier portrait officiel du roi Charles III peint par Jonathan Yeo a relancé mon intérêt pour l’art du portrait. Les commentateurs sur les réseaux sociaux se partagent en deux camps : les contempteurs et les laudateurs. Jugements péremptoires « On dirait un bain de sang », « Le fond donne l’impression qu’il est entouré par les flammes de l’enfer ». Épithètes définitives : « Fantastique », « Superbe », « je l’adore ! « Unique ». Tous les médias ont reproduit le tableau et relayé le « scandale ».

Voilà un bel exemple, s’il en fallait un, de la force des images. Une image et une seule a été l’objet d’un débat planétaire sur ce que doit être un portrait et, qui plus est, un portrait officiel !

L’occasion est belle de revenir sur le portrait dans le street art. Il est vrai que j’ai déjà consacré dans ces colonnes une chronique à ce sujet, mais une approche quelque peu différente, privilégiant l’aspect symbolique sera, je l’espère, complémentaire.

Ma réflexion présente se fonde sur une expérience récente. J’ai compilé les images de fresques représentant des portraits de femmes et d’hommes. Dans les deux cas de figure, la variété des approches des artistes occidentaux est remarquable. Les portraits féminins et masculins sont fréquemment intégrés à des compositions voire à des graphes. Le plus souvent, les portraits sont peints sur le support sans fond ni décor. Au mieux, un large aplat de couleur de fond contraste avec les tonalités chromatiques de l’œuvre pour la mettre en valeur.

Hopare

Ce qui m’a intéressé dans cette bien modeste recherche sont les relations qu’entretiennent le portrait et son décor. Je suis parti de l’idée, au demeurant discutable, que le décor concourt à la création du sens du sujet principal et que sa fonction ne se résume pas exclusivement à mettre en valeur la représentation du sujet portraituré.

J’ai regardé avec attention les portraits de femmes.

En particulier, les portraits de femmes ayant un décor. Les éléments de décor appartiennent à deux catégories : les animaux et les plantes. Remarquons, et cela ne peut pas ne pas être un hasard, seuls les portraits féminins ont un décor de cette nature. Les animaux sont des animaux réputés pour leur beauté, des oiseaux, des papillons, des poissons etc. Les plantes sont soit de superbes feuilles soit des fleurs. C’est l’association récurrente des femmes et des fleurs qui mérite un commentaire. Un commentaire d’autant plus nécessaire que les portraits d’hommes ne sont jamais associés à des fleurs.

En regardant d’un peu plus près les compositions comprenant un portrait de femme et un décor de fleurs, nous comprenons que les visages représentés ne sont pas des portraits ressemblants. Les femmes sont bien trop belles pour être vraies ! De la même manière, les artistes ne recherchent pas dans la représentation des végétaux, fleurs et feuilles, la « ressemblance ». Nous sommes très éloignés d’une peinture réaliste d’un individu à l’identité connue associée à une composition florale, digne d’une nature morte.

Le portrait et son décor échappent à la représentation du réel ; ils s’inscrivent davantage dans une symbolique des formes et des couleurs. Ceci dit, reste à savoir quelles sont les relations de sens et de forme entre les femmes et les fleurs.

Un rappel historique éclaire cette interrogation.

Depuis des siècles les fleurs ont été associées à la féminité. Elles symbolisent la fertilité et la vie, deux concepts parents. Les femmes ont toujours été considérées comme des porteuses de vie et les fleurs ont été depuis la nuit des temps utilisées pour représenter cette capacité à donner la vie. Comme une métaphore de la création. De plus, les fleurs ont des couleurs vives et des formes délicates, des courbes, qui sont associées traditionnellement aux femmes. Dans les arts, les fleurs ont été utilisées pour symboliser les qualités dites féminines : la grâce, la beauté, la fragilité et, bien sûr, la fertilité. J’en veux pour preuve le fait que les fleurs dans une lointaine antiquité étaient associées dans des rituels et des cérémonies religieuses aux déesses de la fertilité et de la maternité.

Je doute fort que les street artistes d’aujourd’hui aient une connaissance exhaustive de la symbolique des fleurs et de leur langage. La symbolique a été dans une très large mesure oubliée. Reste une construction culturelle lointaine héritière de symboliques désormais oubliées. Une construction qui associe deux symboles, la figure de la femme et la symbolique des fleurs. Deux symboles redondants car renvoyant aux mêmes concepts.