Janarte 66, affiches et esthétique

J’ai rencontré les affiches de Janarte 66 par hasard en musardant dans mon quartier.
Elles éveillèrent mon attention dans l’instant par plusieurs traits distinctifs.
Tout d’abord, c’étaient des affiches atypiques. Le graphisme épuré, le choix des couleurs, la mise en valeur étaient tels qu’elles échappaient à toute catégorisation classique. Elles étaient manifestement politiques mais le message n’était guère explicite. Pas de revendication à proprement parler. Pas de mot d’ordre ou d’injonction. Pas de signature d’un mouvement politique ou d’un parti.

Lors d’un évènement du collectif Black Lines, j’ai croisé Janarte qui collait des affiches sur le long mur de la rue Henri Noguères dans le XIXème arrondissement de Paris. Le hasard voulu qu’il sollicita mon aide pour coller d’aplomb un ruban adhésif de couleur pour encadrer une de ses affiches. Je saisis l’occasion pour solliciter une rencontre.

Lundi après-midi, maison Becquet sur les bords du canal de l’Ourcq, une salle bruyante et froide, deux cafés et deux heures d’échanges. Un entretien qui a confirmé des hypothèses et ouvert des pistes de réflexion.
La première confirmation a porté sur l’esthétique des affiches. Le blaze de Janarte 66 est, à cet égard, révélateur. « Jan »-comme trois lettres sur quatre de son prénom, « Arte » comme Arte ou art. La première syllabe est une identification masquée mais présente et, l’artiste situe son projet dans un champ artistique.

Un projet artistique donc mais un message politique. Reste à savoir quel est le message politique de Janarte ?
La signification d’un certain nombre d’affiches s’impose d’elle-même au « regardeur ».
Reproduire le visage d’un homme ou d’une femme politique, le mettre en valeur est une forme d’adhésion. Dans ce cas de figure il n’est nul besoin d’un mot d’ordre pour que le message soit compris. Dans d’autres cas de figure, le « regardeur » qui doit construire un sens se heurte à la polysémie des hypothèses de signification. Les sens de l’affiche résistent et demeurent des hypothèses. Aucun élément graphique ou textuel ne vient discriminer les hypothèses.

Janarte revendique sa volonté d’ouvrir l’interprétation de ses affiches. Il donne à voir (plus qu’à lire), au « regardeur » de construire le sens. Ce trait particulier distingue les affiches politiques de Janarte des autres affiches politiques.
En effet, les graphistes et les artistes qui conçoivent des affiches politiques veillent à la lisibilité du message. D’un regard, le badaud doit comprendre qui lui parle (quel parti, quel mouvement etc.) et quelle consigne lui est donnée.
Bien sûr, la consigne peut être explicite (exemple : votez pour untel, préserver la biodiversité etc.) ou implicite mais claire (affiche de Shepard Fairey pour la campagne d’Obama en 2008). Le portrait d’Obama le regard dirigé sur un point de fuite extérieur à l’affiche et l’écriture du mot Hope, qui est le slogan de la campagne, induisent la signification de l’affiche.

Si à l’évidence les affiches de Janarte sont politiques, j’ai été troublé par la mise en valeur quasi systématique des affiches par des éléments qui relèvent de la décoration. Cette valorisation de l’affiche et donc du message est assumée par Janarte. Je me suis saisi de cette problématique pour observer d’autres affiches politiques. Après réflexion, on s’aperçoit que de nombreux artistes plasticiens ont été sollicités pour créer des affiches politiques. Ces affiches sont légion. Il est vrai que ces affiches ne sont pas comme celles de Janarte « encadrées ». Le cadre ainsi créé limite l’espace de l’affichage et, comme tous les cadres, met en valeur le corps de l’affiche et donc son message.

Je n’aurai pas l’outrecuidance de proposer une explication des affiches de Janarte. Le sens que j’ai construit n’a guère plus de valeur que celui de quiconque. Proposer un sens et un seul, c’est limiter l’extension sémantique d’une œuvre qui est, par nature, polysémique. Au « regardeur » d’en construire la signification, respectant en cela la volonté de l’artiste.