Ardif et les animaux merveilleux

Voilà plusieurs années que je prélève sur Internet les œuvres d’Ardif. Je « prélève » pour ma collection. Comme le naturaliste des plantes pour son herbier, comme le philatéliste les timbres. Pour le plaisir de l’accumulation des objets.

Samedi dernier, j’ai rencontré Ardif qui peignait une fresque de grandes dimensions dans le cadre du Festiwall, initié par la galerie Wall 51. Sous la pluie, nous échangeâmes quelques mots qui eurent l’étrange effet de contredire tout ce que je pensais auparavant du travail de cet artiste.

Toutes les photographies de cet article sont de l’auteur.

J’ai failli dire des horreurs, j’étais à deux doigts du bord de la falaise du contresens, je comprenais, enfin, que depuis plusieurs années « je broutais les amers pâturages de l’erreur ». Dans un billet étalant telle la confiture ma culture philosophique, je m’apprêtais à vous dire que les animaux dessinés moitié naturalistes moitiés mécaniques étaient une ironique manière de dénoncer les animaux-machines de Descartes ! Je me disais que c’était somme toute adroit de dénoncer le sort que réservent les Hommes aux animaux. Les bêtes étaient dans ma fumeuse démonstration assimilées à des objets. Des objets dont on fait commerce, des êtres dont on dispose de la vie etc. etc. (je vous passe la suite sur l’économie du vivant et son exploitation, l’écologie et tout, et tout !)

En voyant les deux magnifiques manchots peints par l’artiste, j’ai compris que le plus manchot n’était pas celui qu’on croit. Pendant des années, j’ai « vu » des mécaniques complexes, des roues et des poulies.

A y regarder mieux, nous voyons surtout des éléments d’architecture, des colonnes grecques, des frontons, des murs, des façades et quelques mécaniques savantes, des roues dentées, des filins. Mon erreur était d’avoir minoré l’architecture aux dépens de la mécanique. Curieuse inversion qui s’explique a posteriori par le simple fait que j’ai vu, ce que je m’attendais à voir. Une fois l’erreur faite, toutes les architectures ont été interprétées comme des mécaniques.

Ardif, dans une vie antérieure, était architecte. Ceci explique cela ! Ses « paysages » ne doivent rien à la peinture du paysage. Ce sont des morceaux rêvés de paysages d’Utopie. Un imaginaire qui évoque bien davantage les peintres des villes, celles de l’époque médiévale, à moins que cela ne soit celles de la Renaissance italienne. Comme par hasard, les « mécaniques », irrésistiblement, me renvoient aux superbes croquis des machines de Léonard et les bâtiments aux Prisons de Piranèse. Bref, les « éléments d’architecture » révélés par la coupe des animaux sont des lieux fantasmés d’un passé ancien qui contraste avec le corps bien vivant des animaux.

Revenons sur cette idée de coupe, dans le sens du dessin technique. Ardif m’a confié qu’il avait été marqué par les planches anatomiques anciennes. Cela ne signifie pas que ses animaux sont l’objet d’une coupe qui découvrirait l’intérieur, c’est-à-dire, les organes. La coupe faussement anatomique ne montre pas ce que cache la peau (comme un écorché), mais révèle (comme le révélateur du photographe) un monde caché. Elle est le moyen d’une échappée belle dans un imaginaire rempli de références culturelles.

Je ne parviens pas à éloigner mon esprit, du moins ce qu’il en reste, de mon allusion à Léonard de Vinci. Pour peindre le corps des Hommes, Léonard disséqua des cadavres. De la même manière et pour les mêmes raisons, à partir de 1511, il disséqua des animaux. Disséquer, c’est dans un premier temps, ôter la peau, pour voir ce qu’elle masque. Dans la démarche d’Ardif, la coupe « anatomique », la « dissection » des animaux jouent le même rôle : montrer ce qu’il y a en dessous. Ardif m’a dit que les organes aussi l’intéressaient. Je comprends que leurs relations fonctionnelles sont comparables à une mécanique et c’est cet aspect qui le séduit.

Comment ne pas être sensible à la beauté formelle des œuvres d’Ardif. Elles mêlent ce qu’il y a de plus beau dans notre monde, les animaux, l’architecture des monuments, l’architecture des créations humaines. L’esthétique n’est pas la finalité du projet artistique d’Ardif, c’est une échappatoire vers les merveilles. Dans « Le livre des Merveilles » de Marco Polo, nous trouvons des animaux étranges, des fruits inconnus en Occident, des villes, des palais, etc. Les Merveilles conjuguent rareté et beauté. Comme les animaux « merveilleux » d’un architecte poète.

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