Un musée des horreurs.

Des horreurs ! Sur nos murs les street artistes peignent, affichent des horreurs. Des horreurs vous dis-je !

Des exemples ? Ils sont innombrables ! Prenons l’œuvre d’Éric Lacan, remarquable à bien des égards, œuvre sur laquelle j’ai déjà beaucoup écrit[1]. L’artiste peint des crânes humains, des os, de noirs corbeaux festoyant de chair humaine et de ravissantes femmes. Ravissantes, mais on ne peut plus mortes. La peau, décomposée, laisse voir les os et les dents. Pire encore, le regard, lui bien vivant, fixe le chaland dans les yeux. Un sacré cauchemar sous forme de vanité !

Ajoutons pour faire bon poids, les animaux les plus effrayants, des monstres, les portraits des êtres les plus machiavéliques du cinéma et même, last but not least, le diable en personne. Belzébuth, le prince des ténèbres, Méphistophélès.

La mort, ses attributs et ses variantes, côtoient le Mal.


[1] Un billet parmi d’autres : « https://streetarts.blog/2021/02/05/eric-lacan-lart-et-la-mort/

Le nombre des représentations de l’horreur, de l’angoisse, de la peur, méritent qu’on s’y arrête pour essayer d’y voir clair. Pourquoi une telle récurrence des figures de l’horreur ?

Faute d’un examen exhaustif de l’ensemble des figures, je limiterai mon propos à une figure typique : celle du squelette. Quitte à aborder dans de futurs billets la figure et l’animal et les références aux « méchants » universels dont les images sont de nouvelles icônes modernes.

Le squelette est présent dans de très nombreuses œuvres, squelette humain et squelette animal.

Les crânes humains sont le plus souvent intégrés dans des vanités et symbolisent la mort. La vanité, qui dans la peinture classique avait une fonction religieuse, a quelque peu perdu aujourd’hui de sa signification première. Traditionnellement, le spectacle de la mort et de son cortège symbolique (le temps qui passe, la brièveté de la vie et l’éternité de l’au-delà, la vanité des choses humaines etc.) était un constant rappel de l’échéance finale. La vie étant « une vallée de larmes », les fidèles devaient par une vie de dévotion et d’obéissance aux commandements de l’Eglise préparer leur salut, sous peine d’endurer pour l’éternité les tourments de l’enfer. Longtemps, ces vanités eurent leur place dans des lieux privés consacrés au culte.

La représentation des squelettes, les crânes et les os, ont, dans le street art d’aujourd’hui, dans une très large mesure, perdu cette dimension religieuse.

Les représentations des crânes, des skulls disent les initiés, sont des exercices obligés permettant de juger du degré de maîtrise de l’artiste.

Les skulls renvoient bien davantage au comportement bravache de celui qui défie la mort, qui symboliquement la représente pour mieux la narguer. Peindre les attributs de la mort, en somme, revient à la défier ; « même pas peur ! »

Ne négligeons pas le fait que peindre, sur un mur, dans un lieu public, des crânes et des os, est certainement pour certains street artistes compris comme une provocation des « braves gens ».

Cela résulte en grande partie d’un malentendu.

Pour beaucoup, tous les attributs de la mort, ont une valeur sacrée. Il suffit pour s’en convaincre de visiter un cimetière et d’observer les comportements des visiteurs. La décence de la tenue vestimentaire, le silence obligé, le respect des tombes etc. sont des comportements sociaux hérités d’anciennes croyances, elles-mêmes intégrées dans un système social marqué par les interdits religieux.

Notre rapport aux représentations de la mort a suivi l’érosion de l’emprise des religions. Jusqu’à perdre, du moins pour certains jeunes gens, la dimension symbolique des représentations de la mort. Perte d’une signification au bénéfice d’autres significations se démarquant d’une pensée religieuse.  

Pour ce qui concerne les squelettes d’animaux. Je pense en particulier à l’œuvre du Belge Roa, le discours est tout autre.

Pour ma part, je pense que sa représentation de squelettes animaux n’a rien à voir avec les vanités et l’imaginaire de la mort. J’y vois plutôt l’expression d’une beauté formelle de l’architecture du squelette.

 J’ai noté que le choix des squelettes peints obéit à des contraintes du support. En d’autres termes, Roa choisit un squelette et une position de ce squelette de manière à occuper l’essentiel de l’espace disponible en veillant à l’harmonie de la composition.

Cela n’est pas sans rappeler les squelettes animaux qui décoraient jadis les cabinets de curiosité.

Ces squelettes reconstitués étaient appréciés pour leur valeur esthétique et leur rareté. On appréciait la beauté d’une création supposée divine. Ces squelettes servaient de modèles aux dessinateurs et aux peintres, séduits par les ressources graphiques des squelettes animaux.

Etrange paradoxe, les Hommes depuis des temps immémoriaux ont donné aux restes humains une valeur sacrée alors que ces mêmes Hommes privent les squelettes d’animaux d’une dimension sacrée ne voyant dans l’architecture des os que la beauté révélée.