Grande échelle.

L’une des spécificités du street art par rapport à la peinture de chevalet est la dimension des œuvres. Les murs peints et le développement formidable du muralisme changent de manière radicale la question du support. Nul ne s’étonne aujourd’hui de voir des œuvres de plusieurs centaines de mètres carrés. Il convient d’interroger cette évolution et de voir en quoi l’évolution exponentielle des surfaces impacte leur intérêt artistique.  

Le sujet est comme la surface des fresques trop grand pour en faire le tour. Aussi, je limiterai mon commentaire à deux de ses aspects : le jeu sur le changement d’échelle et l’esthétique de la démesure.

Les artistes jouent avec la différence des échelles. L’échelle est un rapport entre des dimensions. Ici, la comparaison s’exerce entre la taille humaine et les dimensions des représentations. Les street artistes s’en amusent et souvent posent devant leurs œuvres pour en donner l’échelle. L’objectif, on l’aura compris, est le divertissement, étonner le regardeur, le faire sourire et, dans le même temps, faire apprécier la maîtrise technique de l’artiste.

Le procédé, car il s’agit d’un procédé, n’est pas neuf, ni en peinture, ni en littérature. Mais les dimensions des murs changent radicalement l’effet. Le regardeur, confronté à l’œuvre, vit l’expérience du rapport de taille. Au spectacle de l’œuvre s’ajoute l’émotion de l’expérience vécue.

Changement d’échelle également dans la représentation de sujets de petite taille. On trouvera dans cette catégorie hétéroclite les animaux d’un immense bestiaire et des végétaux dignes d’un gigantesque herbier. Difficile de ne pas penser à la photographie et, en particulier, à la macrophotographie. Les objectifs sont voisins sinon similaires : en grossissant considérablement la taille du sujet représenté, mettre en évidence sa beauté.

Le changement d’échelle, et seulement le changement d’échelle, révèle la beauté. Les artistes grossissent les sujets non seulement pour les faire mieux voir mais pour en montrer la beauté « cachée », illustrant ainsi le rapport non-dit entre les dimensions de la représentation et la beauté.

La taille d’une œuvre a-t-elle à voir avec notre émotion esthétique ?

Je ne suis pas loin de le penser. En tout état de cause, nombreux sont les street artistes qui semblent le penser.

 De gigantesques fresques reproduisent des portraits, des paysages, des scènes de genre. Autant de catégories traditionnelles de la peinture. Le changement des rapports de dimensions accentue leur expressivité et en augmente l’effet sur le regardeur. Tout se passe comme si existait une loi entre l’augmentation des dimensions de l’œuvre et l’augmentation de son impact sur le regardeur.

Comme dans les deux cas précédents, il s’agit d’un procédé artistique.

Le changement de grandeur et le jeu sur l’échelle sont des « artifices » de peintre, vieux comme le monde.

Artifices qui, par ailleurs, ne sont en rien réservés à la peinture. Pensons, à titre d’exemple, aux dimensions souvent qualifiées de « cyclopéennes » des temples égyptiens. Leurs dimensions et plus précisément l’écart entre leur taille et la taille humaine jouent-elles un rôle dans la confusion de nos émotions ? Le changement vertigineux des échelles rend sensible l’écart entre le sacré et le monde des hommes. Plus prosaïquement, les artifices des street artistes changent notre rapport à la réalité.