Images pieuses.

Athée, agnostique, volontiers anticlérical, depuis plus d’un demi-siècle je me passionne pour l’histoire des religions et le rôle que jouent les images dans l’édification des croyants. Toutes les religions, et en particulier la religion de mon enfance, le christianisme.

Aussi ai-je regardé les œuvres contemporaines de street art en Occident avec un regard inquisiteur. J’y ai cherché les traces encore vivantes des images de la tradition chrétienne.

Dans un billet publié dans ces colonnes[1], j’ai montré la récurrence du thème inépuisable de la Madone. Les fresques actuelles représentant la Vierge Marie demeurent extrêmement nombreuses et leur présence est directement corrélée au degré de religiosité des sociétés occidentales.

 Deux autres figures apparaissent : celle de l’ange et celle du Christ. Notons que les représentations de la Vierge, des anges et de Jésus forment la quasi-totalité des productions (sauf, les allusions plus ou moins directes au paradis ou à l’enfer). Toutes les autres références aux textes fondateurs ont disparu.  Seules ces trois figures font aujourd’hui référence. Encore convient-il de nuancer leur signification religieuse.


[1] https://www.entreleslignes.be/le-cercle/richard-tassart/m%C3%A8re-enfantmadone-deux-figures-du-street-art

Parlons des anges. Je vous épargne un long développement sur l’histoire des anges dans les trois religions monothéistes et leurs hérésies (c’est passionnant mais c’est n’est pas le sujet !)

Ce qui subsiste de la figure des anges dans l’iconographie du street art c’est l’ajout de deux ailes dans le dos de certains personnages, des enfants, des hommes et des femmes (voire parfois des animaux !)

Les ailes des anges, archanges et chérubins ont été inventées non par des théologiens mais par des artistes qui devaient représenter des « messagers », c’est d’ailleurs la signification de leur nom. Les deux ailes dans le dos se sont très progressivement imposées pour rendre tangible l’idée du messager qui transmet aux Hommes la parole de dieu sur le modèle ancien de Mercure (qui lui avait des ailes aux pieds !)

 Les six ailes recouvrant l’ensemble du corps ont été réservées aux archanges qui appartiennent à un ordre supérieur à celui des anges. Les archanges, contrairement aux anges et aux chérubins, ne sont pas des messagers, leurs ailes masquent leurs corps (il en faut bien 3 paires !) La couleur blanche des anges vient de l’adoption de la couleur blanche des vêtements liturgiques.

La paire d’ailes ajoutée dans le dos de certains personnages dans le street art revêt plusieurs significations.

La première est une référence explicite aux anges du christianisme et apporte aux personnages des traits qui le caractérise. La référence les institue comme des êtres ayant un statut particulier : ils sont assimilés à des créatures relevant du sacré. Ils quittent l’ordre terrestre et acquièrent une dimension surnaturelle. 

La seconde est, me semble-t-il, plus moderne. L’ajout d’ailes marque la mort du personnage. Les deux significations ont bien entendu des correspondances. La mort est également un changement d’ordre et la mort est un passage vers une existence surnaturelle. Les ailes et le vol sont des images de l’ascension de l’âme du défunt vers le ciel.

Ces deux significations se conjuguent sans s’exclure.

La seconde figure à avoir retenu mon attention est celle du Christ. Rappelons que les Evangiles ne donnent aucune description du Christ et que nous ne possédons aucune représentation de Jésus.

 Ignorant tout de la figure du Christ, les artistes qui devaient le représenter l’ont représenté pendant des siècles comme un homme de leur temps. Comme un jeune Grec imberbe pour le différencier des philosophes grecs, des devins et des dieux païens, portant la toge, une tunique et un pallium pour les Chrétiens de culture grecque des premiers siècles du christianisme par exemple.

C’est au XIe siècle que les artistes ont choisi les traits « aryens » du Christ pour le distinguer des Juifs « persécuteurs ». Son visage est inspiré de la Sainte Face. Il porte une longue chevelure noire partagée par une raie centrale, il a les yeux noirs. Cette représentation sulpicienne perdure jusqu’à nos jours.

En fait, le Christ est, dans le street art, évoqué par trois symboles : le symbole du visage déformé par la souffrance, celui de la couronne d’épines, celui de la croix.

Trois symboles déclinant le thème du martyr. Les artistes d’aujourd’hui dépassent la dimension religieuse de la mort de Jésus pour faire de la figure du Christ le symbole de la douleur et de la mort.

En résumé, de la Bible, des Evangiles, des textes patristiques, surnagent dans notre imaginaire collectif trois figures (et seulement trois) : la Vierge (sujet décliné sous la forme de la Madone ou de la mère à l’enfant), Jésus de Nazareth ou plutôt la figure de sa crucifixion, celle aussi des anges.

Dans une large mesure, la Madone, le Christ et les anges sont devenus des icônes dont la dimension spirituelle est présente mais quelque peu estompée. Reste à comprendre le sens de cette lente évolution dans une histoire des représentations.