Itvan Kabadian peint dans la rue. Depuis longtemps. Depuis plus de 20 ans avec le crew TWE dont il est un des deux fondateurs. Le graffiti du crew, assurément, a marqué l’histoire de la culture hip-hop et celle du street art en France. Avec les membres du crew, il a peint de superbes fresques sur les murs des villes. Intramuros, à Paris, Nice, Bayonne et tant d’autres. Et tant d’autres banlieues. Et même sur les murs en déshérence de nos voisins européens.
Depuis 2018, Itvan Kebadian peint en collaboration d’autres graffeurs des scènes de tumulte, d’émeutes, d’insurrection, de révolte entre forces de répression et jeunes gens mécontents de l’héritage laissés par leurs ainés. Une société dominée par la recherche du profit, l’accroissement des inégalités, les guerres qui traduisent le choc des impérialismes, l’exacerbation des nationalismes…Bref, un monde qui ne tourne pas rond et qu’il faut changer.

Sur des murs autorisés ou sur des murs sur lesquels la peinture est tolérée, Itvan K. à la bombe aérosol peint en noir sur fond blanc « la lutte finale », la tragédie toujours renouvelée du Bien contre le Mal. Ses guerriers de l’Apocalypse, gardiens du Vieux Monde, n’ont pas de visage, pas d’âge, pas de patrie non plus. Ses « insurgés », de la même manière, sont des hommes sans visage, des symboles d’hommes et de femmes qui refusent d’abdiquer devant les forces qui les écrasent et se battent pour la justice et un monde meilleur.

Le thème est dans l’histoire de la peinture ancien, aussi vieux que la revendication des Hommes à la dignité. Seules les armes ont changé, les costumes. L’environnement urbain remplace les « champs de bataille ». Pourtant, c’est dans cette tradition que s’inscrit l’œuvre « dans la rue » d’Itvan Kebadian.

Ses fresques « politiques » depuis 2018 sont l’objet d’une censure quasi systématique. Les fresques de la pointe Poulmarc’h à Paris censurées la peinture à peine sèche. Comme celles de la rue Noguères. Comme celles des Black Lines de la rue d’Aubervilliers. Comme celles de la rue de La fontaine au Roi. Comme celles d’Hiver Jaune. Par 8 fois, les fresques d’Itvan K. ont été recouvertes. A l’initiative des mairies d’arrondissement souvent. Plus récemment sur réquisition du préfet de police de Paris. Les services de la propreté de Paris « nettoient » les œuvres, les recouvrant d’une épaisse peinture gris anthracite. Grise comme l’asphalte des trottoirs et des rues. Il s’agit de faire disparaître les œuvres. Gris sur gris.
Dans la même temporalité, les œuvres d’atelier d’Itvan Kebadian, ses dessins, ses pastels, ses toiles, [1]suscitent la curiosité des amateurs d’art qui en font l’acquisition, complétant leurs collections.
Pourtant « travail dans la rue » et « travail d’atelier » ont des points communs. Les thèmes sont souvent les mêmes, les sujets voisins. L’artiste poursuit sur des supports « nomades » sa réflexion avec les mêmes outils. Pas de rupture, ni dans la forme ni dans le fond.
D’où une question qui me taraude. Pourquoi les œuvres « dans la rue » sont-elles détruites alors que celles d’atelier sont des « œuvres d’art » s’inscrivant dans le négoce de l’art urbain contemporain ?
Recouvrir une œuvre peinte sur un mur c’est la faire, à proprement parler, disparaître du paysage de la Ville. Rien ne subsiste. Aucune trace. L’œuvre est niée dans son statut d’œuvre d’art. La détruire signifie ne lui donner aucune valeur plastique. Elle ne « vaut » rien. Il est donc légitime, non de la cacher, mais de la supprimer. La destruction des œuvres d’art, de tout temps, ont toujours suscité l’indignation. Les exemples sont légion.
Si les fresques sont « effacées » c’est quelles ne sont pas reconnues comme des œuvres d’art. Elles ont un statut de « saletés » que les tenants de l’ordre doivent nettoyer.
Dans le même temps, les problématiques contemporaines tournent autour de la conservation des œuvres d’art urbain, de leur conservation dans des musées, de leur patrimonialisation. Depuis plusieurs années des municipalités en France et ailleurs ont compris tout l’intérêt qu’elles pouvaient tirer du street art. Des circuits de visites touristiques attirent un public toujours plus important. Dès la fin de cette année, le 13e arrondissement de Paris comptera plus de 30 murs peints, faisant de l’arrondissement le plus grand musée en plein air du monde du muralisme. A Paris, des murals sont rénovés. Paris, comme Londres, Berlin, Barcelone, Lisbonne, New-York sont d’ores et déjà, grâce aux œuvres de street art, des destinations touristiques.
La vérité est plus triviale. Les œuvres d’Itvan Kebadian sont toujours des œuvres d’art, quel que soit le support. La censure qui s’exerce à son endroit est politique, bêtement politique. Comme on embastillait les rédacteurs des libelles accrochés sur les portes pendant l’Ancien Régime, on détruit à tout jamais des œuvres qui témoignent d’une réflexion profonde sur les forces qui traversent nos sociétés.
J’ai le
sentiment que les puissants qui censurent l’art, savent que les fresques sont
des œuvres d’art peintes par des artistes et, qu’en toute connaissance de
cause, pour des raisons qui ressortissent de l’idéologie, ils détruisent des
images croyant tuer des idées.

[1] Itvan Kebadian exposera du 18 avril au 20 juin 2019 à la galerie Dominique Fiat, 16 rue des Coutures Saint-Gervais
75003 Paris
info@dominiquefiat.com
+ 33 (0)1 40 29 98 80
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