J’ai consulté avec attention le site dédié de la Ville de Paris et je n’ai pas trouvé le nom du service qui a en charge le nettoyage des fresques politiques peintes sur les murs de notre belle capitale, très justement appelée « La plus belle ville du monde ». J’y ai trouvé moult informations fort utiles sur la propreté et j’ai conclu que le recouvrement des fresques relevait de votre service.
A quelques mois d’échéances électorales qui voient s’opposer les programmes des candidats, je tiens à apporter mon actif soutien à votre action dont l’efficacité s’accroit d’année en année.
En effet, alors que les fresques de la rue Ordener sont restées visibles pendant plusieurs semaines et que leur recouvrement n’a été que partiel, j’ai bien noté que celles de la rue d’Aubervilliers ont été masquées en quelques jours seulement. Une réactivité plus grande certes mais encore quelques erreurs dans le choix des fresques. Fort heureusement, les images les plus insupportables ont été cachées à la vue du public, les portraits de M. Christophe Dettinger en particulier, celui d’Adama Traoré, ceux des Gilets Jaunes éborgnés et j’en passe. Le street art est censé apporter des couleurs à notre Ville, distraire nos concitoyens. L’étalage des violences(?) policières et tout ce sang inquiètent plus qu’ils décorent. Seules quelques fresques ont échappé à la vigilance de vos agents. C’est dommage.
Apprenant de l’expérience, les fresques de la Poterne des Peupliers ont été comme il se doit promptement recouvertes de peinture grise avec des moyens à la hauteur de la provocation. Le gris des murs bordant la bretelle du boulevard Kellermann se conjuguant avec le gris de l’asphalte des trottoirs était du plus bel effet.
Concernant les peintures du mur de La Fontaine au Roi, je dois témoigner de mon étonnement. Peintes le samedi, effacées le lundi ! Le temps de réaction à la fois me surprend et me réjouis. Des soi-disant artistes peintres s’étaient autorisés à brocarder notre Président avec de bien vilaines caricatures.
J’ai deux reproches à vous adresser en toute amitié : la peinture blanche laisse transparaître ce qui est masqué (une épaisse couche de peinture grise eut été préférable) et vos agents ont oublié une caricature, certes peu ressemblante.
Je partage votre vision des choses. Les opinions politiques n’ont rien à faire sur les murs de notre ville. Ne laissons pas un art dégénéré gâter les murs de Paris. Un beau mur c’est un mur gris ou blanc. Chacun peut alors y projeter ce qu’il veut, des paysages bucoliques, des bouquets de fleurs, que sais-je, ce ne sont pas les sujets qui manquent !
Le 4 et 5 janvier 2020, War a peint sur le mur Oberkampf une fresque politique d’une grande violence visuelle. La fresque est une illustration d’une citation tronquée d’Adam Smith : « Tout pour nous et rien pour les autres » voilà la vile maxime qui paraît avoir été dans tous les âges, celle des maîtres de l’espèce humaine. »
La scène représente une curée : trois vautours dévorent une proie encore saignante. Sous un ciel gris, « bas et lourd comme un couvercle », sur une herbe jaunie par la canicule, trois vautours, terminent de se rassasier des derniers lambeaux de chair d’un animal dont il ne reste que quelques côtes. Deux rapaces surveillent d’éventuels concurrents pendant qu’un autre s’apprête à arracher le peu de viande attachée encore aux os.
Le M.U.R. Oberkampf, War!War!
La citation d’Adam Smith impose une lecture politique : le capitalisme est fondé sur l’accaparement des richesses pour ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique. La chronologie actualise le message. Alors que la France connait le plus long conflit social depuis 1968, un artiste sur un mur « autorisé » peint une fresque de 3 mètres sur 2 qui propose une lecture politique du conflit. La réforme des retraites s’inscrit dans la problématique plus générale de la répartition des richesses. La réforme complète un arsenal législatif et fiscal dont le but est de confisquer les richesses au profit de quelques-uns.
A cette lecture univoque d’une évidente clarté correspond la force plastique de l’œuvre. La composition est d’une grande rigueur géométrique. Un rectangle divisé en six parties : divisé par le milieu dans le sens de la hauteur, le ciel et la terre ; la partie inférieure est divisée, elle, en six espaces, deux vautours à gauche, la carcasse décentrée encadrée par un troisième rapace.
Portrait de War!
La force de l’organisation de l’espace est magnifiée par une « touche » atypique. La fresque a été peinte par War avec un rouleau étroit utilisé non pour peindre des aplats monochromes mais bien davantage pour peindre des « touches » d’une peinture épaisse. Composition et manière de peindre concourent à faire de cette scène, après tout, animalière, une œuvre violente. A cette violence de la forme correspond la violence de l’exploitation capitaliste. Cruauté d’une scène de dévoration par des charognards, violence des images, violence du message, dans une séquence politique d’une extrême dureté et pourtant, la fresque échappe (et c’est tant mieux !) à la censure.
Portrait de Christophe Dettinger, Black Lines.
Difficile de ne pas faire un parallèle entre la fresque de War et les dizaines d’autres peintes dans le cadre, informel, des Black Lines. Pourquoi deux Black Lines, le premier, rue d’Aubervilliers dans le 19e arrondissement et le second boulevard Kellermann ont été censurés ?
Vince. Black Lines.
Est-ce la qualité des œuvres qui fait pour le censeur la différence ? Personne n’oserait contester les talents de Lask, Vince, Itvan K., Magic, Ernesto Novo, Mickaël Péronard et de son frère. Et de tant d’autres !
Examinons les arguments donnés par voie de presse par les censeurs. Le Service de nettoyage de la Ville de Paris dit avoir agi sur réquisition du préfet de Paris parce que des riverains ont manifesté leur mécontentement au vu des œuvres. Argument commode et invérifiable. Ce serait dans ce cas de figure une première : des œuvres de street art censurées parce qu’elles ne plaisent pas aux riverains !
Certes la fresque de War est peinte sur un support, un ancien panneau publicitaire, mis à la disposition de l’association qui gère le mur Oberkampf par la municipalité ; les Black Lines étaient en « vandale ». Une différence de statut du support qui ne change pas le problème à considérer qu’il y a « outrage ».
Lask, Black Lines.Itvan K. Black Lines.
« La Vérité est ailleurs » et n’est même pas cachée au fond d’un puits ! Pour connaître les objectifs cachés des censeurs, il suffit de faire l’inventaire des œuvres censurées et celui des œuvres non censurées. Tous les portraits des figures du mouvement des Gilets Jaunes ont été censurées (Jérôme Rodriguès, Christophe Dettinger etc.), toutes les œuvres illustrant des violences policières et cela de façon systématique.
Au plus fort du mouvement des Gilets jaunes, il ne fallait pas fournir des images de « héros » et, dans le même temps, occulter les images qui symbolisaient l’ampleur et la puissance de la révolte (la « Marianne » fracassée, l’Arc de Triomphe etc.). Par ailleurs, une extrême vigilance a été apportée à la représentation des violences policières. Pour une raison simple, il n’y a jamais eu de « violence policière » et tolérer des images illustrant la répression des forces de l’ordre était donner une existence à ces violences.
Pour les puissants, les grèves des transports ne menacent pas les fondements de l’État et la nature du système économique. Dans ce contexte, dans un cadre réglementé, laisser s’échapper un peu de vapeur de la cocotte-minute est un exutoire utile. D’autant plus que la très célèbre citation d’Adam Smith n’a plus, en 2020, le sens qu’elle avait en 1776.
Alors deux poids, deux mesures ? L’application de la loi dépend des contextes politiques dans lesquels s’inscrivent les œuvres. Le Pouvoir peut choisir de s’accommoder des œuvres ; si ça l’arrange. Il peut aussi choisir d’appliquer la loi dans toute sa rigueur ; si ça l’arrange.
Somme toute, la censure est une suite de petits arrangements entre amis.
Qui connait
le boulevard Kellermann à Paris ? Levez la main que je vous compte. C’est
un boulevard qui fait partie du boulevard des Maréchaux dans le 13e
arrondissement de Paris. A la hauteur de la rue de la Poterne des Peupliers. Une
sortie du boulevard des Maréchaux permet de pénétrer dans Paris intramuros et
une voie d’accès de monter sur ledit boulevard. Vous voyez le topo ? Nous
sommes à la limite de Paris, deux rues communiquent avec les « Maréchaux »
qui ceinturent la ville-capitale. Un côté des deux voies est bordé d’immeubles
sociaux, de l’autre, deux grands murs en forme de triangles. Comme les voies d’accès
au boulevard sont réservées aux voitures, peu de piétons empruntent ces « bretelles ».
Un trottoir seul est utilisé par les habitants des HLM. Les deux murs en
contrebas du boulevard Kellermann sont devenus un spot de street art. Depuis
des décennies, les graffeurs peignent des fresques qui sont tolérées par la
Ville de Paris.
Fresque d’Ernesto Novo.
Le 24 février 2019, Itvan K.TWE et Lask TWE ont invité les artistes qui le voulaient à peindre des fresques en soutien au mouvement des Gilets jaunes. 35 artistes français et étrangers ont peint un mur de plus de 100 m de long[1]. Dès le lendemain, la presse rendait compte. Il est vrai, l’événement, le Black Lines Hiver jaune 2, a été dûment préparé et médiatisé. Le maire de l’arrondissement, en toute connaissance de cause, sollicité, avait donné son accord écrit.
Fresque d’Itvan K.TWE
Mercredi 20
mars, j’apprends que toutes les fresques ont été recouvertes par les services
de la Propreté de Paris. Images surprenantes : deux employés habillés d’un
gilet jaune censurent la fresque de soutien aux Gilets jaunes ! Question :
que représentait donc la fresque pour être la cible de la vindicte municipale ?
Des œuvres qui condamnaient la censure médiatique, des fresques qui illustraient
les violences policières, des scènes représentant la victoire espérée des
Gilets jaunes.
Fresque de Vince.
Essayons de
comprendre. Ces fresques ont dénoncé des violences commises par la police, les
excès du capitalisme, l’inaction des gouvernements successifs confrontés aux
désastres écologiques, les liens entre les complexes militaro-industriels et
les guerres. Bref, des positions politiques souvent reprises par les partis
politiques de gauche. Et alors ? Les artistes, dans les limites fixées par
la loi, ont-ils le droit de défendre des idées de gauche, dans des
arrondissements dirigés par des maires socialistes, sur des murs autorisés,
avec l’accord écrit du maire en personne !
« Français,
vous avez la mémoire courte ». Je me souviens tout à trac de Jack Lang, alors
ministre de la Culture soutenant les étudiants de la place Tien An Men, du
soutien du président François Hollande aux Printemps arabes, de sa condamnation
officielle du régime de Bachar El Hassan, de son soutien armé aux opposants.
Tout cela est bel et bon. Pourquoi cet acharnement sur les Black Lines ?
Comment expliquer qu’une municipalité de « gauche » censure l’expression
d’idées qui appartiennent, somme toute, à un corpus idéologique de gauche ?
N’étant pas
dans le secret des dieux, je ne peux que formuler des hypothèses. La première
est la prudence d’une mairie qui a besoin et aura très prochainement besoin des
voix des Parisiens modérés, Parisiens que pourraient effrayer des peintures « révolutionnaires ».
Pour prendre le pouvoir, pour le garder, il faut gouverner au centre.
Eradiquons l’expression des extrêmes !
La seconde
est plus conjoncturelle. Le mouvement des Gilets jaunes embarrasse la mairie.
Ne pas condamner le mouvement dans son ensemble pour garder un électorat
populaire. Se démarquer des futurs candidats macroniens à la mairie de Paris. Surtout
condamner fermement les actes de « vandalisme », les destructions,
les black blocs et toute cette engeance !
Or donc, un
mot d’ordre : se recentrer non sur le parti, mais sur des positions
personnelles. Rassembler. Jouer un coup d’avance en préparant les futures
échéances.
Politique
politicienne, stratégie électorale, intérêts partisans…et la liberté d’expression !
A la trappe !
Est-il
possible aujourd’hui en respectant les lois de la République de peindre une œuvre
qui expriment des idées qui combattent celles de l’exécutif ? Mais que
diable, qu’est-ce qui fait si peur aux puissants ? Des peintures sur des
murs ? Doit-on préférer à ces œuvres des actions autrement plus violentes ?
Comment les idées qui sortent du catéchisme de la pensée dominante vont-elles s’exprimer ?
Va falloir
qu’on m’explique ! Pourquoi a-t-on toléré pendant des dizaines d’années
des fresques de street art sur ces deux murs et pourquoi, les œuvres souvent
remarquables des artistes de l’Hiver jaune ont été censurées ? Pourquoi
les fresques des Black Lines sont-elles censurées pour la 8e fois ?
Me faut-il
rappeler que l’Art a toujours été un exutoire et que recouvrir d’un gris anthracite
les murs peints, maintes fois photographiés, est un aveu d’échec. Un échec de
la démocratie. Un échec d’une expression libre.
Voltaire,
Beaumarchais, Diderot, réveillez-vous, on censure en votre nom. Les Lumières
vacillent ; elles sont fragiles un souffle peut les éteindre.
Fresque de Lask TWEFresque de Sun-C.Fresque de Tay.(Espagne)Portrait de Jérôme Rodriguès. Magic (Belgique)Gilet jaune recouvrant les fresques Black Lines (lettrage de Gemo et 93 Sheed 16)
[1] Artistes : Lapin Mutant – Ernesto Novo – Paulo Reyc – Tay Aguilar Esteban – Vitalia – Bojan – Epsylon Point – Lomo Zano – Hecate Lunamoon – Vince – Lask TWE – Rebus V13 FdK – Macadam – Pour Ceux – Itvan K – Deace – Krash2 – Veans TWE – Zoyer – Resha – Kraco TWE – Gemo – Sly2 – Bot1 – Magic – Ekzit – 2M – Quiz – Aflor – Oprok – Tasp – Nemi Uhu – Marco la Mouche, avec les V13 et Sure aka Wilfrack, Gémo, 93 sheed 16
La rue
d’Aubervilliers, à Paris, est une frontière. Frontière, en ce sens qu’elle
délimite deux arrondissements parisiens, le 18e et le 19e.
Le côté impair fait partie du 18e, le côté pair du 19e.
Une limite administrative, rien de plus. La vraie limite est géographique,
c’est la voie ferrée et le pont Riquet qui l’enjambe.
Une rue qui
relie Aubervilliers au boulevard de La Chapelle. Une entrée et une sortie de
Paris encombrée par le mouvement pendulaire des banlieusards. Une rue atypique,
le côté impair borde Les jardins d’Eole et des entrepôts dont la situation
s’explique par la proximité du rail et de la route. Côté pair, quelques
commerces et une longue file d’HLM. Bref, ce n’est pas une de ses rues de Paris
où les chalands baguenaudent, le nez collé aux vitrines, promettant tous les
plaisirs.
Après les attentats
parisiens de 2015, à l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle gare RER, un
collectif d’artistes, le GFR, a invité des street artists français et étrangers
à créer un événement : peindre le plus long mur de fresques en l’honneur
de Rosa Parks. Les murs du pont Riquet et plus de 400 mètres du côté impair de
la rue d’Aubervilliers célébrèrent Rosa Parks et les valeurs qu’elle incarne,
l’égalité des droits, le refus du racisme, la fraternité. Depuis, le mur est
devenu un spot de street art qui a profité de sa proximité avec le CentQuatre.
Bien qu’une association gère le mur, le spot accueille librement de nombreux
artistes, surtout des graffeurs mais également des « fresquistes » et
des pochoiristes. Dans le petit milieu du street art parisien, le mur est
considéré comme un mur « autorisé ». C’est-à-dire, un mur où le
street art est toléré.
Revenons sur
cette notion de tolérance. La loi française, pour faire court, autorise la
peinture des murs (ou sur les murs, comme on voudra !) si le propriétaire
du mur donne son accord. Dans les faits, les pratiques des street artists ont
introduit plus que des nuances. On peut les regrouper en 3 cas de figure :
les murs dont les propriétaires ont explicitement autorisé des artistes à
peindre, des murs dont les propriétaires tolèrent les interventions des
graffeurs, des murs dont l’usage est « réservé » à un crew.
Donnons
quelques exemples. Les « murs peints » du 13e
arrondissement résultent d’accords passés entre les bailleurs sociaux, la
mairie d’arrondissement et le directeur de la galerie Itinerrance. Le long mur
SNCF de la rue Ordener dans le 18e arrondissement
« appartient » à un crew qui y intervient, qui peut autoriser
d’autres artistes d’autres crews à y peindre. Le mur du square Karcher
appartient à la Ville de Paris et est géré par l’association Art Azoï.
Tous les
street artists de Paris connaissent les règles écrites et non écrites qui
régissent les murs.
D’autres
murs ont des statuts bâtards : ils sont en apparence libre d’accès mais la
mairie qui est propriétaire des murs peut les « nettoyer ». « Nettoyer »
recouvre une réalité plus triviale : des employés municipaux à grands
coups de rouleau recouvrent les fresques et les graffs.
C’est là que
ça devient intéressant.
Nul ne conteste le droit de la Ville de
peindre d’un beau gris anthracite ses murs couverts d’œuvres d’art urbain
contemporain. Ses édiles semblent préférer les longs murs monochromes au
désordre apparent des interventions des graffeurs. Ce qui interroge, c’est qui
choisit de recouvrir telle fresque ou telle autre et comment est effectué le
choix ? Autrement dit, quels sont
les critères qui président à la disparition des œuvres.
J’ai posé la
question aux services de la propreté de la Ville qui m’a répondu par un copier-coller
de la politique de l’équipe municipale en faveur du street art ! Si sur
une longue période nous examinons les œuvres qui sont recouvertes et les
autres, les critères sautent aux yeux. Les œuvres qui ne sont pas
« politiques » sont « épargnées » alors même que les
propriétaires des murs n’ont pas donné leur accord[1].
Les fresques politiques, sans que cela soit systématique, sont recouvertes.
La fresque
de TWE crew de la pointe de Poulmarc’h recouverte. Comme celles de rue
Noguères. Hasard ? coïncidence ? me direz-vous. Voire.
J’ai déjà
évoqué dans mes billets les initiatives de deux membres de TWE crew, Itvan K.
et Lask. Sur un mur donné, à une date donnée, sur un thème qu’ils choisissent,
en imposant un code couleur, ils invitent les street artists à les rejoindre
pour une « jam » d’une journée. Ces réunions d’artistes militants
sont une variation des collectifs d’artistes de Mai 68 et des
« brigadas » chiliennes. Elles sont en quelque sorte non pas le
« bras armé » des luttes sociales et politiques mais l’active
participation des artistes de rue aux combats des « travailleurs ».
Ces événements sont baptisés les Black Lines. En quelques mois, plusieurs Black
Lines ont été organisés, à Paris, à Marseille, à Nantes. Les thèmes sont d’une
brulante actualité : la critique du libéralisme, la convergence des
luttes, les violences policières, le soutien aux Gilets jaunes. En moins d’un
an, plus de 100 artistes ont participé aux Black Lines.
Après avoir
organisé déjà deux Black Lines rue d’Aubervilliers, les leaders de ce qu’il
convient d’appeler un mouvement, ont décidé de consacrer un Black Lines pour
soutenir les Gilets jaunes. La presse régionale et nationale a rendu compte de
l’événement en mettant l’accent sur les portraits de Christophe Dettinger, le
boxeur de CRS, sur ceux des victimes des tirs de LBD et de grenades, sur les
revendications de justice sociale exprimées par nombre de Gilets jaunes.
Quelques jours après le Black Lines, titré Hiver jaune, les fresques ont été
recouvertes à l’exception de la peinture d’un personnage de dessins animés dont
on a supprimé le phylactère subversif, d’une vision en plongée dont la
signification hors contexte n’est guère possible. La très remarquable scène
peinte par Ernest Novo représentant une famille réunie autour d’un téléviseur
affichant en lettres noires sur fond jaune « Révolution » a été
conservée, sauf l’écran de télévision et le mot honni, « révolution ».
D’autres
œuvres n’ont pas subi des employés municipaux les funestes outrages, ce sont
les graffs d’Estim représentant des portraits des joueurs de l’équipe de
football du PSG ! Nous avons un indice sur les peintres en bâtiment :
ce sont des supporters du PSG !
Le nettoyage
a été sélectif : toutes les œuvres ayant un contenu politique ont été
recouvertes. La conservation pendant plusieurs années d’œuvres peintes sur des
murs « interdits » et le « nettoyage » rapide des fresques
politiques n’a rien à voir avoir la Propreté de Paris. Mais tout à voir avec la
censure.
Une censure
évidente, presque drôle. Une censure qui de plus ne sert à rien. Les acteurs de
cette censure qui ne dit pas son nom réfléchissent comme les publicitaires du
20e siècle : pour provoquer l’acte d’achat, il faut que le
citoyen-consommateur voit le plus grand nombre d’affiches, de spots télévisés
etc. Ils n’ont pas intégré que les photographies des fresques
« tournent » sur les réseaux sociaux à la vitesse d’Internet !
En quelques heures, la peinture encore fraiche, les reproductions des œuvres
sont mises en ligne et partagées de centaines de fois. Ces images, en libre
accès, peuvent être imprimées, diffusées dans le monde entier, sans passer pour
autant sous les fourches caudines des régulateurs du Net. Les smartphones qui
photographient qui, en direct, mettent en ligne des images. Des appareils
photos connectés qui peuvent mettre en ligne quasi immédiatement des photos ou
des films. Le monde a changé, pas toujours en pire, et la censure, toutes les
censures, sont devenues de plus en plus complexes à mettre en œuvres. Seuls les
Etats autoritaires disposent des moments technologiques pour imposer une
censure au prix d’une mobilisation considérable de moyens techniques et
humains.
Le street
art vit dans un entredeux réglementaire et une pratique « deux poids, deux
mesures » dont il faudrait sortir. Les street artists acceptent le côté
éphémère de leurs œuvres comme la condition non dite de l’art dans la rue.
C’est même la « fragilité » des œuvres qui en fait le prix. L’art
urbain n’aspire pas à la patrimonialisation, ni à la leur
« conservation » dans des musées, mais il revendique, à juste titre,
une liberté d’expression bornée par des limites explicites.
Au lieu de
mobiliser des camionnettes et des employés municipaux, censeurs aux petits
pieds, les puissants devraient plutôt organiser la libre expression des idées en
appliquant l’arsenal législatif qui la régit et qui est amplement suffisant
pour empêcher les dérives et les excès.
Une censure
cachée ouvre la voie aux pires supputations, au développement de théories du
complot, aux élucubrations les plus fantaisistes. Notre démocratie est-elle si
fragile qu’elle ne saurait supporter quelques images ? Des images certes
qui ne rentrent pas dans les cases du bien-penser de droite comme de gauche. Raison
de plus pour que les idées trouvent un moyen d’expression sur les murs de nos
villes.
[1] A titre
d’exemples, les fresques de la rue de L’Ourcq peintes sur des murs de la SNCF,
les fresques de la rue Germaine Tailleferre peintes sur des murs de la Ville.
La fresque d’Ernesto Novo censurée. Photographie R.Tassart. 7 mars 2019.
Fresque d’Ernesto Novo pour Black lines, Hiver jaune 1. Photo RT
Fresque de KracoTWE pour Black lines, Hiver jaune1. Photo RT
Fresque en partie censurée. 7 mars 2019.Photo RT
Fresque pour dénoncer les dangers de l’utilisation des lanceurs de balles de défense. Censurée. Photo RT
Fresque d’Itvan K. TWE crew, censurée. Photo RT
Fresque censurée.
Portrait de Durringer, le boxeur.censurée. Black lines Hiver jaune 1. Photo RT
Fresque de Durringer. Censurée. Black lines Hiver jaune 1. Photo RT
Fresque pour Black lines, Hiver jaune 1. censurée. Photo RT
Freesque pour Black lines Hiver jaune 1. Censurée. Photo RT
Fresque de B. Boy. Censurée. Photo RT
Pochoir et graff d’Estim, joueur du PSG, pas recouvert.
Graff d’Estim. Pas recouvert. Comme la quasi totalité des portraits des joueurs du PSG. Photos RT