Bas les masques !

Enfant j’ai adoré me déguiser.

 Je me souviens encore de ma panoplie de Davy Crockett, une toque en peau de lapin avec une queue de « castor » sur le côté, une veste de coureur des bois imitation daim, un long fusil de bois et une guitare pour accompagner la fameuse balade !

Plaisir de me cacher derrière l’apparence d’un autre. Une manière d’occulter mon identité sous une identité d’emprunt. C’est en jouant que j’ai découvert une des fonctions du masque : se cacher derrière l’image d’un autre.

De là, peut-être, mon intérêt pour les masques. Et mes interrogations sur la représentation des masques dans la peinture et le street art en particulier. Street art et peinture de chevalet sont cousins issus de germains. Ce qui vaut pour l’un vaut également pour l’autre. Certes des différences existent (dimension des surfaces peintes, nature des supports, outils scripteurs etc.), mais les street artistes sont des peintres et leur contester cette identité serait une manière de dévaloriser leurs œuvres.

Or donc, le thème du masque traverse l’histoire de la peinture comme celle du street art.

Entendons-nous bien, j’appelle « masque » toutes les façons utilisées par un artiste pour masquer partiellement ou complétement le visage d’un personnage. On y trouvera les masques stricto sensu mais également et par extension tous les subterfuges pour cacher les traits d’un visage, peintures et motifs décoratifs peints sur la « peau », coiffures dissimulant tout ou partie d’un visage, chapeaux et cagoules etc.

Le plus souvent (et comment s’en étonner !) les masques sont représentés au premier degré. L’artiste explicitement représente un masque : soit un masque d’un personnage dont les traits sont connus de tous, soit un masque fruit de l’imagination du peintre. Les masques sont souvent associés à des saynètes représentant des jeux d’enfant.

Parfois la figure du masque est plus complexe. Le masque peint représente un masque authentique qui donne une forme à des forces occultes. Des visages ou des têtes d’animaux donnent une réalité tangible à une divinité qui s’incarne alors dans le corps et dans l’esprit de celui qui porte le masque.

 Par sa bouche s’exprime pendant la transe l’esprit invoqué à qui on rend un culte. Littéralement, dans certaines traditions, le porteur du masque devient le temps du rituel le personnage représenté. Le masque cache le danseur et montre la divinité. Cacher pour montrer une autre réalité. Sa fonction rejoint celle des idoles : les représentations de la divinité, toutes les représentations, sont des supports à la prière pour que le croyant aidé par sa matérialité accède au commerce avec la divinité.

Si le principe est somme toute le même, les fonctions attribuées au masque varient de manière considérable d’une société à une autre, d’un groupe humain à un autre. C’est la raison pour laquelle il n’est guère possible de parler par exemple de la fonction des masques africains. Bien que semblables à nos yeux d’occidentaux, les masques africains non seulement ont des formes différentes d’une ethnie à une autre, mais ils ont des usages et des fonctions différentes.

Les masques peints représentent des masques, c’est un premier degré dans leur représentation et leur compréhension.

Nombreux sont les artistes qui utilise l’image du masque pour rendre compte de tout autre chose : ce que nous montrons de nous-mêmes et notre intériorité. Une seule image pour traduire une double nature : l’image que nous donnons aux autres et ce que nous sommes vraiment.

 La signification est « stable »  et constante : notre vraie nature est cachée derrière des apparences. Le visage que nous donnons à voir est un masque qui cache notre vérité profonde. L’idée n’est pas nouvelle et sa représentation plastique non plus. Elle a été moultes fois reprise et développée dans des œuvres de street art pour plusieurs raisons : elle introduit dans le portrait l’aura du mystère c’est-à-dire, une dimension supplémentaire dans la fabrication de l’imaginaire, elle questionne sur la peinture qui révèle ce qui est caché . Plus prosaïquement peut-être, la juxtaposition des deux plans (extérieur/intérieur) ouvre la voie à un nombre infini d’images potentielles d’une grande richesse graphique.

D’autres artistes empruntent une voie quelque peu différente en montrant ce qui est sous la peau du visage. La peau est dans ce cas de figure comme un masque et l’artiste « dissèque » la peau pour montrer ce qu’elle cache.

 Parfois, elle révèle une savante architecture ou une complexe mécanique. Parfois, apparait le cadavre en voie de décomposition voire le squelette. Les objectifs ne sont bien sûr pas identiques. Dans un cas, les compositions en mettent en évidence la beauté de la complexité. Dans l’autre, ce sont des variantes modernes des vanités d’antan excluant toute signification religieuse.

On l’aura compris, cerner la signification des représentations des masques n’est pas chose facile.

La raison réside dans l’extrême variété des masques, de leurs usages et de leur signification dans les groupes humains dans lesquels ils jouent un rôle.

A titre d’exemple, la représentation d’un masque de jaguar par un street artiste mexicain peut avoir deux lectures. La première, au premier degré, est la peinture d’un masque antique. La seconde s’inscrit dans un mouvement culturel moderne d’une fierté des origines aztèques, mouvement développé dans des champs culturels très variés par une jeunesse voulant rompre avec les influences nord-américaines et revendiquant leur identité indienne. La seconde lecture verra dans la peinture du masque du jaguar une représentation de la force, de l’intégrité, de l’énergie vitale, de l’équilibre, de la fertilité, du conflit entre la terre-mère et l’ombre souterraine.

Dit autrement, la compréhension de la représentation du masque (mais pas que) doit prendre en compte la culture qui lui a donné naissance.


Bas les masques.

La Grande faucheuse n’a pas encore terminé sa moisson. Elle n’a pas son comptant d’âmes. Le mal court toujours. Pourtant les Hommes ont déjà inventé leurs héros. Les derniers de corvée, ceux qui mettent les mains dans le cambouis, qui risquent leur vie pour que fonctionne l’inhumaine machine, sont reconnus et l’objet de toutes les louanges (pour l’augmentation de salaire, les conditions de travail, la promotion, prière de consulter le DRH). Dans cette innombrable cohorte, un groupe sort du lot et recueille tous les suffrages : les « soignants ». Parmi eux, une figure émerge : l’infirmière.

L’infirmière, qui autre temps, autres mœurs, a perdu sa charge érotique a gagné en empathie. C’est elle qui entretient avec le patient le rapport le plus intime, celle qui administre les soins et prend soin du corps. Derrière cette figure féminine, derrière le masque, nous reconnaissons celle de la mater dolorosa. Vierge des douleurs. Celle qui intercède entre le monde souffrant des Hommes et son divin fils. Comme le caducée était associé chez les Grecs de l’antiquité à Hermès, le masque est associé à l’infirmière.

Ainsi, par contiguïté dirons-nous, le masque en quelques mois, dans le monde entier est devenu le symbole de la pandémie.

Alors, qu’y a-t-il derrière le masque ?

D’abord son lien avec la figure centrale d’une nouvelle mythologie, l’infirmière, mais également avec les « soignants ». Tous ne portent pas un stéthoscope autour du cou, mais tous portent un masque. Le masque n’est pas porté pour masquer, c’est le comble pour un masque, mais bien plutôt pour protéger. Protéger le patient du malade et le malade du soignant qui, même sans symptôme, peut être porteur du virus. Corollaire de cette assertion, tout le monde peut contaminer tout le monde. Conséquences dont la logique n’échappe à personne : je ne rencontre personne ou je porte un masque, barrière absolue contre le virus.

Ainsi, à l’ennui du confinement succède la peur du déconfinement et la généralisation au niveau universel du port du masque.

Pourtant les modalités de la transmission du virus sont encore mal connues. Une quasi-unanimité des chercheurs identifie les projections émises par la parole. D’autres soutiennent que la transmission peut se faire par contact du virus avec les yeux. D’autres encore, que nos micro-postillons restent en suspension dans l’air pendant de longues minutes. D’autres enfin, que nos postillons honnis déposent du matériel génétique sur des surfaces que nous touchons.

Ces considérations scientifiques n’expliquent qu’en partie le rôle que joue le masque dans notre société. Je remarque que les contraintes liées au port du masque sont bien peu respectées. Certains portent leur masque et l’enlèvent pour discuter. D’autres le portent toute la journée alors qu’ils sont seuls sur une plage bretonne ou sur un sentier de randonnée, en vélo, à moto (sous le casque !). Combien de conducteurs le gardent pour conduire seuls leur voiture ! Tout ça pour dire que les bienfaits du masque sont certes médicaux mais aussi et surtout psychologiques. Le port du masque est davantage une réassurance qu’une efficace protection (il faudrait pour cela que les contraintes soient strictement respectées, ce qui est loin d’être le cas !).

En fait, en associant le port du masque aux gestes barrière, on crée un imaginaire du masque, barrière radicale contre la transmission du virus. L’image de la barrière est d’une telle force qu’elle a une fonction déterminante dans la diffusion du masque. Les marchands ont bien compris que le masque est aujourd’hui présent dans nos sociétés et qu’il le sera plus encore demain. Vuitton a senti le filon et vend un masque griffé du fameux monogramme. La pandémie passée restera le masque, accessoire de mode. On le portera contre les miasmes en général qui polluent l’air que l’on respire, pour affirmer son statut social en portant un masque siglé, pour protéger son anonymat. Il sera fabriqué avec des matériaux techniques et précieux. Il sera adapté aux circonstances : pour le sport, pour les transports en commun et le bureau, pour les soirées.

Le street art cristallise « l’air du temps » et fige en images puissantes ses figures. De nombreux artistes se sont amusés en affublant des représentations iconiques de masques ; tous y sont passés, de la Joconde, à la jeune fille à la perle de Banksy à Bristol. L’association du masque à l’image de l’infirmière est une garantie de diffusion mondialisée. Les modèles et les figures via les réseaux sociaux et Internet sont mondialisés. Le masque qui était porté par les habitants de certains pays survivra au Covid-19. Il s’intégrera au vêtement comme un accessoire qui signera notre identité sociale. Attaché au monde du soin, il est déjà devenu un objet de commerce voire de rapports géostratégiques.