Thierry Olivier aka Epi2mik par lui-même.

J’ai lu tous les articles de presse publiés sur Epi2mik. J’ai regardé toutes ses œuvres. J’ai consacré deux articles à son travail[1]. Des milliers de mots, des centaines d’images depuis de nombreuses années et je m’interroge. Est-il légitime de mettre des mots sur les œuvres de Thierry Olivier ? Des mots pour décrire les émotions que je ressens à voir ses dessins. Des mots pour mettre de l’ordre dans une œuvre foisonnante et complexe. Des mots pour réintroduire du rationnel, de l’analyse, pour faire comprendre aux lecteurs les ressorts secrets d’un projet artistique.

Pourquoi ce questionnement portant précisément sur cette œuvre ? Si le but de la critique est de faire comprendre l’œuvre, le seul véhicule de la pensée qui vaille est la rationalité. Or je pense que l’œuvre de Thierry Olivier échappe à la raison raisonnante. Son œuvre est constituée de traces graphiques qu’Epi2mik a laissées depuis un peu plus de 20 ans. Des traces de sa vie la plus intime. S’y retrouvent étroitement mêlées des traces de sa formation aux Beaux-arts, de son enfermement volontaire, de son errance, de ses lectures, de ses rencontres, de ses tourments, de ses bonheurs, de ses amours, de sa vision de notre corps, de notre monde et de notre univers.

Dire avec mes mots ce que Thierry Olivier a voulu « dire » n’a aucun sens car il n’a pas choisi de dire ou d’écrire : il a choisi de créer des images. Et quelles images ! Non pas des images voguant au gré des courants « mainstream », des images pour être connu et reconnu, des dessins comme des marchandises fabriquées pour être vendues, mais des images, à lui nécessaires, des images qu’il ne pouvait pas ne pas créer. En vérité elles lui sont consubstantielles. Ce ne sont pas de petits cailloux blancs qui jalonnent sa vie comme autant de repères mais des images thaumaturges, des bouées de sauvetage qui l’ont empêché de sombrer corps et âme et de renaître à la vie et à l’amour.

Ajouter des mots à ses images serait un manque de respect autant pour l’homme que pour l’artiste. La seule approche possible est le ravissement.

Regarder les images, se laisser pénétrer par elles, lâcher prise, embarquer dans une méditation métaphysique hypnotique, passer outre toute velléité d’analyse, refuser le jugement esthétique, se laisser porter vers des contrées inexplorées. L’émotion est la seule voie de communication entre deux âmes.


[1] https://www.entreleslignes.be/le-cercle/richard-tassart/dans-la-peau-d%E2%80%99-epi2mik

http://www.entreleslignes.be/le-cercle/richard-tassart/epi2mik-traits-d%E2%80%99union

C’est ainsi, un peu contre nature, que je laisserai l’analyse dans ma boite à outils.

Mon propos sera de vous montrer des œuvres choisies en fonction de ma sensibilité et de mettre en regard des citations de l’artiste. Ce qu’il dit de ses œuvres, son point de vue, ne constitue en rien une explication. C’est le sens qu’il en donne. Mais, nous le savons, la distance est grande entre le produit d’une création par un artiste et le discours de l’artiste sur son œuvre. Il n’en demeure pas moins que la « mise en récit » de son œuvre est passionnante.

« Il y a une évolution évidente entre le microcosme, la prolifération de particules élémentaires avec mes dessins actuels, je continue à augmenter le zoom, à rejoindre le macroscopique, à toucher l’organique, les structures même qu’utilisent la nature. Les notions géométriques que la nature elle-même utilise pour réaliser tout ce qui nous entoure. »

Entretien Street/Art, janvier 2020.

« Après avoir donné des couleurs à mes années d’errance, de peintures en colonisations urbaines, d’hospitalisation en mise en demeures et garde à vue. De 2001 à ce jour d’avril 2016 où suite à une ultime crise à Rennes, je tombe sur un rouleau de papier de 10 mètres. Un parchemin qui me suivra jusqu’à aujourd’hui, sur lequel mes proliférations anarchiques se transformeront en organisations cellulaires, de la pollinisation urbaine à un voyage au cœur de la matière comme le dit Raphaël Fresnais dans le (journal) Ouest-France de l’époque. Dessiner des liens, retisser sa vie, se dessiner, repartir de zéro. Je rencontre alors Fanny Farget en 2017, directrice adjointe du CNRS de Caen, qui en voyant mon dessin prend l’initiative de m’envoyer une capture audio de questions et verbalisations de mon travail. Le voyage a définitivement commencé pour moi et ce dessin que j’ai appelé ‘ZoOom’, laissant celui-ci me guider, ma vie se construit minutieusement sur un fil de 10 mètres. Après un bref mais intense retour à Caen et toujours sans-domicile mais avec ce travail en « work in progress » qui semble ravir la galerie Igda, le WIP, les écoles primaires et surtout les particuliers chez qui je ne manque jamais d’aller. Je rencontre mon binôme avec qui je partage ma vie aujourd’hui, nous achetons une caravane, y mettons le dessin et nous voilà libre de suivre les demandes des particuliers, écoles de toute la France, pour montrer, expliquer et naturellement dessiner sur ce parchemin désormais plus célèbre que moi. Celui-ci nous amènera d’Alençon à la Vendée, puis la Belgique, de Paris à l’extrême-sud de l’Espagne, du Portugal à Nîmes… Le temps et l’espace semblent entièrement dirigés par ce dessin qui de rencontres en déroulements se développe et se construit « presque » tout seul. »

Avant-propos de son exposition au Cabinet d’amateur, Paris, 2020.

« Comment se déplace l’information, l’énergie, dans l’infiniment petit, dans le cerveau, entre les synapses, mais aussi autour de nous, dans l’infiniment grand. Remonter à l’aide de différentes substances psychoactives très puissantes, à la source de mon exploration et de ma création artistique. Volonté de faire voler en éclat la frontière entre intériorité et extériorité, entre le macro et le microcosme. Renoncer aux désirs de contrôle, de mes proliférations anarchiques de formes circulaires. Tenter de comprendre ce qui m’a amené vers cette forme d’évasion, me laisser transporter vers l’« état de rêve » pour y ramener de nouvelles structures et réponses. »

« L’image nous attache à la réalité concrète mais en troublant notre connaissance, le concept nous permet de la mieux comprendre, mais en la vidant de sa plénitude. L’union de l’image et du concept nous permettra d’avoir une idée moins inadéquate de ces objets, qu’aucune image ne peut représenter et qu’aucun concept ne peut définir ».

Empreinte bactériologique inconnue ..oOo..

Epi2mik .

« Ces liens qui nous unissent. Les cellules des organismes vivants sont constituées de molécules. Les molécules sont constituées d’atomes, qui sont les « noyaux » de base de la matière, constitués eux-mêmes de particules élémentaires comme les quarks formés par les liens. Comment tout ceci s’articule, communique ? Sommes-nous tous unis par des liens invisibles ? Ce qui se passe dans le microcosme, se passe-t-il pour l’ensemble du vivant ? Il y a plus de liens et d’espèces animales sur notre corps, avec des organisations très complexes, qui se synchronisent, pour le cœur ou le cerveau, au millième de seconde. Une arborescence infinie qui relie l’ensemble, comme pour les synapses dans notre cerveau ou une toile d’araignée invisible comme pour l’énergie sombre. Est-ce que finalement quelqu’un d’hypersensible, n’est pas simplement quelqu’un qui sent que tout est lié, qui sait que de minuscules causes peuvent avoir des répercutions pour l’ensemble d’un monde ? »

 Le Grand-Celland, Basse-Normandie, France.


Epi2mik, traits d’union.

Dans ces colonnes, j’ai publié le 25 avril 2018, un article titré « Dans la peau d’Epi2mik. » dont l’ambition avouée était de tenter de comprendre par l’étude des œuvres le processus créatif d’un artiste atypique, Epi2mik. En retour à l’envoi de mon billet, Epi2mik avait eu la gentillesse de m’écrire : « J’en ai les larmes aux yeux, merci, merci beaucoup, vous avez non seulement compris mon travail mais vous en avez surtout compris son essence, son concept. Je ne sais pas quoi dire à part merci. »

Bien sûr, le retour d’Epi2mik a été gratifiant pour celui qui cherche à comprendre à la fois l’histoire d’un projet artistique et ses ressorts secrets. Il n’en demeure pas moins qu’en regardant les œuvres récentes de l’artiste j’ai la conviction d’être passé à côté d’une réflexion sur la géométrie et les représentations du réel.

A première vue (et même à la seconde), le regardeur des œuvres d’Epi2mik voit une défense et illustration de la géométrie. C’est une fausse évidence qui mérite un détour.

 L’artiste n’a qu’un outil, un simple feutre, pour dessiner ses « ronds » et ses filaments qui relient entre elles, dans un réseau d’une incroyable complexité, des formes. Il suffit de changer d’échelle et le regardeur ne voit plus de cercles parfaits ni de courbes régulières, encore moins de traits droits. La main de l’Homme étant imparfaite, son dessin l’est également.

 Comment expliquer alors cette illusion de la perfection géométrique ? La culture occidentale depuis des temps immémoriaux a toujours été fascinée par la géométrie. D’abord étroitement liée à des problématiques pratiques (par exemple, retracer les bornes des champs après les crues du Nil dans l’Égypte antique), elle fascina les grands esprits qui n’eurent de cesse d’en découvrir les lois. On inventa les formes de base, la ligne, le carré, le rectangle, le triangle etc., les solides et leurs propriétés mathématiques. La géométrie antique, fille de Platon et d’Euclide, fut un objet culturel fort utile dont les applications furent innombrables (arpentage, astronomie, architecture…). Simple rappel pour replacer la géométrie dans une épistémologie.

Passionnante certes l’histoire de sa création n’est pas l’aspect qui retient aujourd’hui mon attention. Je passe sous silence le rapport platonicien entre la géométrie et les « idées ». Je retiens, par contre, le fait que cette géométrie qui reste dans nos vies d’Hommes du XXIe siècle celle que nous utilisons, a été et reste une grille de lecture pour décrire la Nature.

Les philosophes de l’antiquité ont constamment recherché les rapports qu’entretiennent Nature et géométrie. Ils pensaient en découvrant les propriétés de la géométrie lever un coin du voile recouvrant les mystères de la Nature. Si le nombre d’or était utilisé dans l’architecture c’est parce qu’il était « inscrit » dans la Nature. Inscrit mais caché.

Ces penseurs ne furent pas les seuls à chercher des correspondances entre Nature et géométrie. Baudelaire établissait des « correspondances », une bonne part de la pensée ésotérique est fondée sur cette idée que les nombres et les formes ont des significations secrètes et des pouvoirs tout aussi secrets sur les Hommes.

En fait, l’enseignement de la géométrie qui est dans les sociétés occidentales très précoce (dès l’École maternelle) développe ce que les pédagogues nomment une « géométrisation du Réel ». Ainsi, nous voyons des immeubles rectangulaires, des routes parallèles, la Terre ronde, les murs de mon bureau perpendiculaires au plancher et au plafond…Pour voir, il faut comprendre et donc saisir les rapports entre les lignes et les volumes. Pour comprendre, inconsciemment, je réduis lignes et volumes à des catégories simples pour, d’un regard, comprendre (prendre avec.) les rapports. Ma perception est le résultat (réussi !) d’un apprentissage. Sans cette aptitude développée par la culture, le monde serait un chaos. . En vérité (et entre nous !), les lignes droites n’existent pas. Pas davantage, les cercles. Ce sont des concepts et non des réalités objectives.

En résumé, ce sont nos savoirs, des savoirs appris, qui nous font voir dans la Nature des propriétés géométriques et arithmétiques qu’elle n’a pas.

Les peintres (et nombre d’autres artistes), grands copieurs de la Nature devant l’Éternel, ont utilisé la géométrie pour donner l’illusion que leurs tableaux reproduisaient la Nature. L’invention de la perspective en est un exemple. La composition également.

Revenons à nos moutons, ou plutôt aux dessins d’Epi2mik. Essentiellement des courbes tracées au feutre dans l’espace de la feuille de papier à dessin. Aucune tentative de rendre compte du volume ; pas de perspective. Quant à la composition, elle apparait l’œuvre terminée mais ne me semble pas précéder l’exécution de l’œuvre. L’œuvre est rythmée par la succession de symétries et de dissymétries et par les oppositions de grandeurs.

L’exécution s’apparente davantage à la musique qu’au dessin technique. Sans conception préalable d’un quelconque schéma général. Les formes dessinées s’engendrent suivant en cela la pensée de l’artiste. Une pensée « graphique », dirais-je, qui a aucun moment ne tente de copier le Réel et/ou de suivre les « règles » du dessin « classique ».

L’œuvre se déploie dans l’espace et dans le temps. Epi2mik part du dessin d’une forme et se laisse porter par la vague, dans un rêve éveillé, une méditation poussée par les vents. Une exécution hors du temps, à moins que cela soit « le temps du rêve », cher aux Aborigènes. Sauf que, comparaison n’est pas raison, Epi2mik n’a pas le projet de laisser de traces d’images vues dans son « rêve ». Car il ne voit pas des « images », copies du Réel, mais des lignes qui composent des formes, elles-mêmes reliées à d’autres lignes etc. L’exécution de ses œuvres ressemble à une prolifération : non pas de cellules, mais une prolifération de lignes. Son « imaginaire » n’est pas constitué d’images. Epi2mik n’est pas comme le commun des mortels, prisonniers de l’image. Ses œuvres portent témoignage de sa différence.

En écrivant cette conclusion, j’ai à l’esprit l’image de son rouleau de 10 mètres de long sur 1,50 de large étalé sur le sol, encadré par les têtes curieuses des enfants qui s’émerveillent des « beaux dessins » et d’Epi2mik, à leur côté, bienveillant, répondant aux questions des mômes. Je me dis que ce rouleau est peut-être symbolique du rapport d’Epi2mik aux autres. Comme un cordon ombilical, le rouleau, le dessin, est ce qui le relie au Monde. Le fil est ténu. Un trait médium sur du papier. Mais il lui est essentiel.